[Initiation Zei]L'arène des neiges

L'Arène des Neiges

Une nouvelle journée des plus banales, bien qu'il m'ait fallu redoubler de persuasion pour mener à bien certaines négociations avec quelques érudits de la Technopôle. Des cerveaux bien remplis au détriment d'un sens moral s'inclinant face aux "besoins de la science", ces clients représentent un fort potentiel pour les affaires. Je n'ai donc aucun scrupule à me diriger vers le bar du Technologue Borgne une fois le soleil couché, à la recherche d'un remontant dûment mérité.

Après avoir passé de trop nombreuses heures à supporter la présence de ces portefeuilles ambulants, me forçant à arborer le visage qui conviendrait le mieux selon les profils de chaque nouvel acheteur potentiel, je ne suis pas d'humeur à supporter mes semblables. Je revêt ma tête des mauvais jours en entrant, celle qui signifie très clairement que quiconque tenterait de venir s'assoir à la même table que moi, devra se préparer à encaisser une salve de paroles acérées à son encontre. Depuis le temps que je traine mes guêtres dans cet endroit, le message passe bien, et je peux me contenter de prêter une oreille discrète aux quelques conversations qui s'élèvent dans la salle, les sujets de plus en plus intéressants à mesure que l'alcool coule.

Pourtant, j'ai tout juste le temps de prendre un second verre qu'une silhouette vient dans ma direction, sans montrer le moindre signe d'hésitation. Sans bouger, je le regarde franchir les derniers mètres qui nous séparent, le visage toujours aussi fermé qu'à mon entrée dans le bar. Bien sûr que je reconnais le gérant de l'établissement. Tout comme je sais pertinemment qu'il ne viendrait pas me tenir compagnie seulement pour prendre quelques nouvelles. C'est qu'à cette heure-ci, il y en a des assoiffés à contenter. Quoi qu'il en soit, un sourire sarcastique vient rapidement orner mon visage à la suite de cette introduction.

- "Oh, oui, c'est vrai que je ne vivais que dans l'attente d'un tel jour."

Une absence d'enthousiasme critique dans mes paroles, je récupère cette lettre tendue sur laquelle je porte mon attention, la parcourant rapidement des yeux. Enfin, de l’œil si on veut être exact. Détail futile.

- "Vraiment, il n'y avait aucun volontaire pour prendre un bol de fraicheur chez ces sauvages à les regarder se battre ?"

Toujours aussi agréable qu'à mon habitude, je ne peux pas dire déborder de joie à l'idée du voyage qui s'annonce. Mais je dois admettre qu'il y a bien un point sur lequel il a visé juste. J'en ai marre de ces journées qui se ressemblent toutes plus les unes que les autres. Aussi peu emballé que je puisse paraitre actuellement, j'ai déjà décidé d'accepter à l'instant même où j'ai terminé de lire cette lettre.


Deux jours plus tard, je suis prêt à quitter la Technopôle. Il y a bien longtemps que je ne me suis pas autant éloigné. Alors même si la destination ne fait pas rêver, je ressens malgré tout une pointe d’excitation monter en approchant du port où je dois retrouver un certain équipage. Les relations des Scorpions s'étendant dans chaque région d'Ezylone, il n'a pas été difficile de trouver une bande de marins prêts à faire embarquer un inconnu en échange d'une bourse bien remplie.

J'ai évidemment pris soin d'emmener mes affaires les plus chaudes pour affronter ce climat réputé peu clément chez ces gens de l'est. Mon sabre fidèlement porté à ma ceinture, il faut néanmoins un œil aiguisé pour le distinguer sous le long manteau que je porte en quittant le studio que j'occupe dans le quartier marchand. Une lame parait indispensable pour cette mission. S'il avait suffit d'un peu de diplomatie pour régler ce désagrément, la mention de "mort ou vif" aurait probablement été inutile.

La démarche assurée, un air beaucoup plus abordable qu'il y a deux jours, je m'approche du seul navire marchand près duquel l’activité bat son plein, de nombreux hommes charpentés occupés à manipuler des caisses de bois volumineuses. L'un d'eux, celui qui avait pour mission de guider les larbins à gros bras me remarque et délaisse ses hommes quelques instants pour venir à ma rencontre, légèrement méfiant. Je m'arrête à quelques mètres, prenant l'initiative.

- "Bonjour, navré de vous couper en plein préparatifs, mais laissez-moi me présentez, Zei Illas. Je me suis entretenu avec votre capitaine hier soir concernant la possibilité de naviguer à vos côtés jusqu'au port de Dalian."

- "Ah, ouais, c'est qu'il avait bien parlé d'un départ plus rapide que prévu pour qu'un type pressé embarque avec nous ! Mais j'm'attendais plutôt à voir l'un de ces intellos perdus dans leur bulle de science qu'un vrai pirate ! Un pirate ! Pour le bandeau haha, t'as capté ?!"

Impassible, je force un sourire hypocrite face à mon unique laisser passer qui se trouve visiblement hilarant. Ce qui parait le satisfaire, puisqu'il poursuit son monologue, ne posant pas davantage de questions.

- "C'est que l'capt'aine il n'est pas franchement du genre à changer ses plans à la dernière minute t'vois ! Ahah, les gars ont déjà fait leurs paris sur le temps que tu tiendras avant de gerber ! Oh la gueule qu'ils vont tirer en voyant qu'notr' invité est pas l'un d'ces rats de bibliothèque ! Allez viens, suis moi, j'vais t'présenter au capt'aine ! Il aime pas trop les retardaires t'vois !"

Réprimant tous les adjectifs qui me viennent à l'esprit face à un tel ramassis de conneries, je me contente de hocher la tête, prenant la suite de mon guide un peu trop bavard. Mais il va me falloir quelques têtes amicales pour parfaire mes connaissances relatives à ma destination durant ce trajet. Tant pis s'il faut pour ça que je feigne partager ce sens de l'humour douteux.

Bien, mes efforts payent puisque je peux finalement embarquer, et moins d'une heure plus tard, nous quittons la Technopôle. Un dernier regard vers ce lieu que je commence à bien connaitre, je finis par me diriger à l'avant. Autant profiter de ces jours en mer ! Et n'en déplaise à tous ces abrutis qui me servent de compagnie, aucun renvoie gastrique ne sera à déplorer durant les jours à venir.

L'Arène des Neiges

Décidément, quel que soit leur rang, ces matelots ont tous hérité du même humour minable. Mais je sais faire passer les intérêts avant mon propre confort, alors une fois de plus, je prend un sourire poli de circonstance pour aller avec cet accueil digne des manants qu'ils sont. Ce serait dommage de voir ma si parfaite solution pour rejoindre port Dalian s'en aller, me laissant seul sur les quais à cause d'une verve incontrôlée.

Pourtant, un évènement vient me faire à penser que cela aurait peut-être été préférable. Évidemment, le retard que nous prenions en raison, d'après cette bande d'incapables, d'un manque de vent, m'agaçait fortement. A ce rythme là, je ne vais jamais arriver avant le début de leur ridicule affrontement de sauvages. Et il n'est pas question que cette mission échoue à cause de l'incompétence de cette misérable vermine. Malheureusement, dans une telle situation, je n'ai aucun autre recours que d'espérer qu'ils finissent par trouver une solution rapidement.

Non, ce qui pourrait me faire définitivement regretter le choix de cet équipage d'incapables, c'est la tension qui monte d'un cran à l'annonce de l'arrivée de pirates. Bingo, il ne manquait plus que ça. Un soupire de dépit, je suis rapidement le mouvement général de tous les matelots qui se précipitent sur le pont après le discours du capitaine, apparemment bien décidés à protéger leur rafiot.

- "T'inquiète pas l'bleu ! On a l'habitude de ces brutes sans foi, on va s'les faire couler en moins d'deux !"

C'est vraiment moi qu'il espère rassurer avec de telles paroles ? Parce que de là où je me trouve, leur navire a quand même l'air bien plus imposant que celui où je me trouve. Je ne suis peut-être pas un habitué des batailles en mer, mais ces canons qui tirent une première salve dans un brouhaha assourdissant me paraissent trop peu nombreux pour réellement envoyer l'autre bâtiment par le fond...

Et plus les pirates se rapprochent, plus il devient évident que l'affrontement ne s'annonce pas être en notre faveur. Jouer les super héros ? Très peu pour moi. Non, pendant que ces messieurs mesurent qui a les plus gros canons, je préfère largement repartir en direction de la cabine commune où j'étais installé pour la durée de ce voyage (celle qui pue le renfermé et la transpiration) pour récupérer mes effets, tout en réfléchissant au meilleur plan de repli.

Tout le monde est sur le pont, il n'y a plus âme qui vive dans les cales, seuls les cris et les tambourinements venant d'en haut m'annoncent que l'abordage a eu lieu. J'ai pu apercevoir le terre ferme à l'horizon un peu plus tôt. Impossible de savoir s'il s'agit bien du port qui m'intéresse, mais l'urgence actuelle est de quitter en un seul morceau ce futur tas de bois pour rejoindre un sol bien plus sûr que cette étendue d'eau qui s'étale à perte de vue.

Les cris de l'assaut se mêlent très vite à des cris de douleur. Je ne sais pas qui a l'avantage, mais les chiffres étaient très clairs. Les chances que ce soit en la faveur du groupe d'imbéciles avec lequel j'ai embarqué sont très faibles. Alors autant profiter de ce moment de répit pour m'échapper d'ici. Allez, il y a forcément une barque ou je ne sais quoi qui permette de quitter cette tombe flottante !

Heureusement que cette caraque n'est pas immense. D'ailleurs, quitte à abandonner l'équipage (qui va très probablement y rester au passage), autant en profiter pour ne pas partir les poches vides non ? Cette pensée parfaitement rationnelle me traverse l'esprit alors que je me trouve dans la partie de la cale où les marchandises sont stockées. Bah, de toute façon tout ça finira aux mains de ces pirates, autant récupérer mon droit de passage, puisque je ne vais manifestement pas être amené jusqu'à mon point d'arrivé prévu.

Je me perds peut-être un peu en contemplation de tout ces petits bijoux de technologie qui s'étendent sous mes yeux. Ah, si seulement j'avais plus de place... Ces pirates vont être content du butin ! De nouveaux cris me ramènent cependant très vite à la réalité. Je prélève donc une dizaine de montres à gousset de très bonne qualité, les fourrant dans mes poches qui en viennent bientôt à déborder, et je poursuis ma recherche initiale. Trouver une porte de sortie viable ! Et qui m'éviterait d'avoir à prouver mes talents cachés en natation.

Et après un nouveau détour et des bruits d'affrontement de moins en moins présents, je finis par apercevoir mon salut ! Une sorte de petit canot qui a l'air des plus inconfortables. Hum, je n'y connais pas grand chose, mais ce n'est pas le moment de faire le difficile. D'autant plus que des voix beaucoup plus proches se font entendre. Ah, ils ne se contentent plus du pont. Mon rythme cardiaque qui s'emballe sous le coup de l'urgence, j'attrape mon nouveau moyen de fuite, la pagaie associée, et me dirige vers l'une des ouvertures probablement prévues pour ces départs précipités. Ok, je n'y connais absolument rien en construction de navire mais je fais comme je peux avec les déductions qui me viennent à l'esprit !

D'ailleurs, l'eau qui commence à s'infiltrer ne me parait pas très bon signe. Alors hop, je ne perds pas davantage de temps, je m'extirpe de ce tas de bois qui prend la flotte, légèrement aveuglé par le soleil qui me revient en pleine face les premières secondes, je cligne légèrement des yeux, envoie tant bien que mal mon bateau miniature rejoindre les flots et... Un bond tout en grâce et en légèreté, j’atterris en bon endroit. Mais le fond instable de ce canot me fait perdre l'équilibre et c'est l'échec. Passant par dessus bord, me voilà totalement trempé...

Oh putain c'qu'il fait froid là dedans !! Je me dépêche de remonter à bord de mon navire de fortune, pestant intérieurement contre ces foutus pirates et ces imbéciles de marins. Alors, sans même un regard pour les vrais bâtiments autour de moi (l'odeur de brulé et les nombreux débris qui flottent à la surface de l'eau sont déjà des indicateurs relativement fiables de l'état des bateaux), je commence à ramer (péniblement, mais c'est la première fois que je me retrouve à devoir assumer une tâche aussi dégradante !), vers ce bout de terre que j’aperçois toujours à l'horizon. Quelle poisse. Je déteste vraiment tous ces sauvages !

L'Arène des Neiges

Quelle galère. Et je ne fais pas état de ma ridicule embarcation mais plutôt de cet effort que demande l'exercice de la rame. Non pas que je sois réfractaire à toute forme d'effort physique, mais affronter les remous de la mer à la seule aide de mon radeau miniature n'a rien d'agréable. Mais les cris au loin et les quelques débris que je peux parfois apercevoir me permettent d'ignorer ce désagrément pour redoubler de puissance à chaque nouveau coup de pagaie.

Finalement, je réussis à approcher les abords du port sans plus de problèmes. Et on dirait bien que mon arrivée ne passe pas inaperçue. En d'autres circonstances, peut-être aurais-je apprécié attirer ainsi l'attention de ces misérables badauds, mais ma position de faiblesse manifeste associée aux raisons qui m'amènent en ce continent glacé ne sont pas pour m'apporter satisfaction. Tant pis, il faut parfois savoir mettre sa fierté de côté. Je suis en plein dans l'un de ces cas de figures.

- "Merci infiniment, vous êtes bien braves. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans votre aide."

Je leur adresse un sourire chaleureux, plein de reconnaissance. L'un des héritages de l'éducation qui m'a été imposée plus jeune. Savoir flatter l'égo de ceux qui peuvent présenter un intérêt pour gérer une situation délicate.

- "En effet, si vous pouviez m'indiquer un établissement proche au sein duquel je puisse me remettre de ce voyage, je vous en serais extrêmement reconnaissant. Un endroit qui ne soit pas trop onéreux si possible."

Je ne suis pas vraiment sûr que ces manières soient réellement comprises par les sauvages qui peuplent cette partie du territoire, mais il semblerait que l'objectif soit atteint pour cette fois-ci. L'un des hommes présent dans le petit attroupement me conduit jusqu'à un établissement typique des quais. Une devanture à la fraicheur passée, une odeur douteuse une fois la porte d'entrée passée, un sol collant, des clients tonitruants et des grandes quantités d'alcools qui circulent entre le bar et les tables.

Après m'être présenté au gérant je peux enfin prendre une chambre où me poser "tranquillement" quelques instants. Dans son infinie bonté, l'homme bedonnant me porte même des vêtements de rechange pour m'éviter de mourir de froid à cause de mon accoutrement totalement trempé après mon petit tour dans l'eau. Aucune de mes affaires ne s'en est réchappé indemne. Je prends le temps de remettre de l'ordre dans ma nouvelle tenue ainsi que dans mes idées, et lorsque le niveau sonore qui me parvient du rez de chaussée ma parait suffisamment important, je me décide à redescendre.

Je commande un irish coffee pour me mettre en jambe (et pour me réchauffer également, je déteste vraiment ce froid !) et je décide de jouer la carte évidente du parfait touriste en manque de socialisation. Et des touristes, ce n'est apparemment pas ce qui manque en cette saison des combats d'arènes. Le sujet principal de ces conversations est d'ailleurs orienté sur celui qui doit avoir lieu le lendemain. Pas de perte de temps inutile au moins ! Il faut dire que ce voyage ne s'est pas déroulé tout à fait dans le planning initialement prévu.

Je me faufile au sein du premier groupe de fêtards qui ne parait pas originaire de ces terres gelées, prenant part sans difficulté aux conversations en cours, orientées sur le sujet qui m'amène ici. S'il n'est pas très difficile d'avoir des informations relatives à l'endroit où se tiendront ces combats, il est beaucoup plus difficile d'en avoir sur l'individu que je suis venu chercher sans éveiller les soupçons. Je préfère ne pas trop en dire pour ce soir, me contentant d'en apprendre au maximum sur le fonctionnement de cette activité prisée par tant d'étrangers pour pouvoir m'y intégrer au mieux.

Après une nuit inconfortable (mais toujours meilleure que celles passées sur le bateau) et une matinée passée à acheter de nouveaux vêtements qui devraient me permettre de me fondre au mieux dans cet environnement, je me décide à chercher certains de mes confrères receleurs présents sur cette partie du territoire. S'il n'est pas évident de les identifier, mon expérience de ce milieu et mon appartenance au clan me permettent d'avoir quelques contacts privilégiés. Mais il faut se rendre à l'évidence. Les gens ici ne sont pas particulièrement bavards.

Les heures défilent sans que rien de concluant ne sorte de cette après midi. Légèrement dépité mais loin d'être abattu, je finis par me rendre aux arènes une fois la nuit tombée. De nombreuses personnes se pressent en cet endroit, achetant leur billet d'entrée. Pas des gens qu'on a envie d'embêter à première vue. Je camoufle comme je peux mon sabre sous le long manteau que j'ai dégotté ce matin, non pas qu'on ait l'air d'être fouillé à l'entrée, mais je serait plus à l'aise à l'aillant à mes côtés.

Je réussis à rentrer sans encombres et je me faufile donc au milieu de ce public enragé, qui pour une bonne partie est déjà alcoolisé. Bon, il va falloir que je mette à contribution mon unique œil, puisque la seule piste dont je dispose tient à cette fameuse broche. Heureusement, le milieu social dont sont issus la majorité des personnes présentes ne doit pas leur permettre de porter la moindre broche.

L'Arène des Neiges

Quelle idée que d'engager un borgne pour une mission de repérage ! J'ai à peine mis un pied dans cette arène que je sens déjà que je ne vais pas particulièrement apprécier cette ambiance. Enfin, ce n'est pas comme si je venais pour le spectacle non plus. Je m'avance donc au milieu des spectateurs, faisant mine de chercher un groupe d'amis égarés, en profitant pour vérifier l'accoutrement de chaque personne sur qui mon œil se pose, à la recherche de cette fameuse broche.

Mais à l'instant où il me semble repérer l'objet de ma venue, je n'ai pas le temps de relever le regard pour associer un visage à cette broche, qu'une pression exercée sur mon épaule me fait faire volte-face, perdant ma cible des yeux. Je tente bien de tourner la tête pour établir un nouveau contact visuel, mais il semblerait que mon nouvel interlocuteur ne soit pas de cet avis. Quel manque de savoir-vivre !!

- "Voilà une bien belle somme je vous l'accorde, mais je crains que je ne..."

Ce malotru ne me laisse même pas le temps de décliner son offre (ce qui ne me laisse désormais plus grand doute sur le caractère obligatoire de cette fausse proposition), qu'il m'enfonce ses doigts dans l'épaule, me forçant à stopper ma tentative de refus. D'ailleurs, les autres gorilles qui débarquent ne me donnent pas plus envie de me lancer dans une belle tirade pour tenter de m'en sortir. Pour sûr que ces rustres ne doivent comprendre que le langage de la violence. Voilà qui est bien fâcheux...

- "Ah, oui, bien sûr, ce serait un honneur que de participer..." Comme si je pouvais dire autre chose... Mais vu le regard que me lance le chargé des inscriptions, ce n'est visiblement pas mon consentement qu'il attend. Un nom... "Et, dans le milieu, on m'appelle Cyclope."

Oui, c'est ridicule. A peu près autant que cette situation !! Je n'allais pas non plus lui donner mon vrai nom ! Parce que je n'ai évidemment pas l'intention de me battre contre qui que ce soit ! Ce n'est pas du tout pour ça que je suis venu jusqu'ici. Ce qui m'amène à me demander si des informations sur ma véritable mission n'auraient pas fuité. Si ce blondinet aux manières de bouseux ne serait pas de mèche avec mon inconnu à la broche. Ma disparition serait ainsi très facile à expliquer à l'organisation. Cela étant, je ne compte pas leur faciliter la tâche.

Enfin pour le moment, je suis un peu trop bien escorté pour pouvoir leur fausser compagnie. Même si la dernière phrase de mon geôlier laisse supposer que ce ne serait pas la première fois qu'un "candidat" réussirait à disparaitre. Mais mes rêves d'évasion s'arrêtent bien vite lorsque je suis finalement "invité" à entrer dans une pièce qui ressemble à s'y méprendre à une prison. Le seul avantage, c'est que je ne suis pas le premier arrivé. En omettant que ce soit contre ce type que je serais très probablement amené à me battre. Ce type qui ne parait pourtant pas plus à son aise dans cette cage que moi. Hum, peut-être que je pourrais en tirer avantage ?

- "Alors, vous aussi vous paraissez si impressionnant que les organisateurs de cet affrontement vous ont jugés digne d'entrer dans l'arène ?"

Je prends un ton volontairement sarcastique pour m'adresser à mon binôme, autant pour tâter le terrain que pour engager la conversation au plus vite. Et il semble très vite évident que lui non plus n'est pas dans cette salle d'attente de son plein gré. Parfait. Il y a donc moyen de tenter quelque chose. A deux, tromper nos surveillants parait beaucoup plus facile que seul.

J'observe alors rapidement en détails la pièce dans laquelle nous nous trouvons. Manifestement, la seule sortie que nous avons est cette porte. Porte fermée et qui doit nécessairement être gardée. Le principal problème étant que je n'ai pas la moindre idée du nombre de personnes qui se trouvent derrière. Je peux tabler sur quatre, les mêmes qui m'ont amené jusqu'ici. Alors finalement, après avoir pu faire un peu plus ample connaissance avec mon camarade de cellule, je m'approche de lui pour lui chuchoter mon plan de sauvetage. Il n'est pas question que je me retrouve à me battre dans l'arène !!

- "Ils veulent qu'on s'affronte sous les yeux du public, mais ils ne doivent pas avoir spécialement envie qu'on arrive déjà abimés. Je parie que si on fait mine de se battre ici et maintenant, cette porte va s'ouvrir. A ce moment-là, il faudra qu'on soit prêts à les prendre par surprise pour quitter cette cellule sans leur consentement !"

Mon partenaire n'est pas super chaud pour ce plan d'évasion, mais à force d'insister, il fini par accepter. Et c'est donc en sortant notre meilleur jeu d'acteur, qu'on feint une grosse engueulade à voix haute, bien assez forte pour s'assurer d'être entendus par ceux qui se trouvent à l'extérieur. Il faudra néanmoins en arriver jusqu'aux faux coups suivis de cris de douleur et de rage pour que la poignée bouge enfin.

Je jette un coup d’œil à mon complice qui a l'air sur la même longueur d'ondes. Et lorsque la porte s'ouvre sur nos gardiens, c'est d'un même élan qu'on se rue sur eux, prêts à forcer le passage. Mais notre rébellion est bien vite stoppée par des épées dégainées qui se pointent dans notre direction. Ah. On dirait qu'ils ne rigolent pas ici... Et comme je n'ai pas particulièrement envie de me retrouver lacéré prématurément, je n'insiste pas davantage, acceptant à contrecœur mon sort, tout comme mon camarade qui me jette désormais un regard assassin. Eh ça va, je ne l'ai pas complètement forcé non plus...

L'Arène des Neiges

C'est sympa de me faire remarquer à quel point la situation ne parait pas à mon avantage... Je ne me considère pourtant pas comme particulièrement gringalet, mais il faut bien reconnaitre que mon compagnon d'infortune (et futur adversaire) a une carrure particulièrement impressionnante. Pour sûr qu'on n'a pas dû grandir dans les mêmes conditions. En revanche, savoir qu'un fou a tout misé sur ma tête me conforte assez vite dans l'hypothèse d'une potentielle fuite d'informations. Mon homme a dû savoir profiter de sa position dans cette ville pour améliorer ses relations, ce qui ne me plait pas particulièrement. A moins qu'il ne s'agisse vraiment d'un abruti n'y connaissant rien aux règles des probabilités... Ce qui ne m'étonnerait pas chez ces sauvages !

- "Bah, ne t'inquiète pas pour ça. Fais ce que tu as à faire !"

Ce serait idiot de me faire la moindre faveur de la part de ce grizzli. Désormais dans cette arène, l'adrénaline ne peut que monter, faisant ressortir l'instinct de survie que chaque être vivant possède naturellement. Tout est fait pour motiver les participants. La vue offerte depuis le centre de l'arène est particulièrement stimulante. Et les cris qui raisonnent ne sont pas pour apaiser mon rythme cardiaque qui accélère doucement.

Je dois admettre ne pas être particulièrement serein par le choix d'arme de mon adversaire. Je ne me suis jamais battu face à cette arme de barbare. Je suis davantage habitué des affrontements classiques. Épée, sabre, n'importe quoi possédant une lame semblable à celles que je sais manier. Pas cet espèce de gros marteau qui me ferait presque ressentir de la pitié pour les malheureux clous.

Mais je n'ai pas vraiment le temps pour le sentimentalisme, puisque j'ai à peine le temps de me saisir de l'une de ces épées (mal équilibrée malgré une lame dont le tranchant parait avoir été la priorité) que les hostilités sont officiellement lancées. Ouah, on ne perd pas de temps. Rentabilité maximale !

- "Eh bah, ils ont dû l'entendre de l'autre côté d'Himabaha son gong ! On va finir sourds avec ces bêtises !"

Si seulement il n'y avait que l'audition que je risquais de perdre. Mais je n'ai pas pour habitude de prendre les choses trop au sérieux. C'est donc avec un certain flegme que je mime l'inconfort auditif, ma main de libre se portant à mon oreille dans un simple jeu d'acteur. Pas de quoi dissuader mon adversaire du moment pour autant, qui compte visiblement prendre l'initiative.

Très bien, fini de rire donc. Mon attention désormais focalisée sur Grizzli, je suis sûr qu'encaisser un coup de cette masse ne doit pas être des plus agréables. Je me recule rapidement alors qu'il continue à avancer, gardant une distance de sécurité entre nous. Il a l'avantage sur l'allonge, il va donc falloir que je me montre plus rapide. Mais à sa façon de se déplacer (et de tenir cette arme) on voit bien qu'il n'en est pas à son premier affrontement.

Les cris continuent de raisonner autour de nous, mais je n'y prête désormais plus aucune attention. J'en oublie même momentanément la raison de ma présence ici. Ce n'est pas le moment de se perdre à contempler les supporters. On passe quelques secondes à se jauger, le grizzli tout aussi attentif à mes mouvements que moi aux siens, c'est finalement lui qui sera à l'initiative du premier coup. Sa masse fend l'air horizontalement, et ce n'est que grâce à une esquive latérale que j'arrive à me tenir hors de portée (mais le vent vient tout de même soulever quelques unes des mes mèches de cheveux).

Aucun de nous ne se donne vraiment à fond avant quelques minutes. Chacun de nos coups reste mesurés, de sorte à ne pas se mettre en position de faiblesse pour autant, mais il faut se rendre à l'évidence, il va falloir passer la vitesse supérieure si on veut s'en sortir (et stopper les cris des spectateurs qui deviennent vraiment horripilants !). L'issue se jouera sur le contrôle de nos nerfs, aucun de nous deux n'étant un débutant dans l'art du combat.

Et c'est finalement mon adversaire qui commettra le premier faux pas ! Son arme (toujours aussi impressionnante lorsqu'elle passe si près de ma tête !) est lancée avec un peu trop de puissance pour que ses appuis compensent l'absence d'obstacle qu'elle rencontre, et je n'ai pas de difficultés à me glisser derrière lui. Je profite de cette position et de son déséquilibre initial pour envoyer ma lame lui entailler largement les mollets, terminant de lui faire perdre le contact avec le sol en accentuant son manque d'équilibre d'un coup d'épaule entre les omoplates.

Les cris paraissent se stopper en même temps, jusqu'à ce que le corps massif de mon adversaire ne s'écroule au sol dans un bruit sourd caractéristique, faisant redoubler d'intensité le niveau sonore ambiant. Pour ne pas s'étaler lamentablement au sol, il lui a fallu relâcher sa prise sur son arme, de sorte à ce que ses mains amortissent sa chute. Une situation dont je profite immédiatement, éloignant la masse d'un coup de pied (douloureux, qu'est-ce que c'est lourd cette connerie !!) pointant en même temps l'extrémité de mon épée et direction de la nuque ainsi exposée du gaillard.

- "Tu devrais te rendre. Moi non plus, je n'ai pas l'intention de perdre."

Cette fois, ma voix est parfaitement sérieuse. Ce ne serait pas bon pour ma réputation. Et je n'ai que faire de son discours émouvant de père de famille. Une veuve de plus en ce monde ne m'empêchera pas de dormir correctement. Mais puisqu'il a été plutôt coopérant tout à l'heure, je veux bien lui laisser une chance de s'en sortir vivant (du moins, de ne pas lui ôter la vie directement, je n'ai aucune idée du sort réservé aux perdants...).