Koniake rentrait tranquillement à l'auberge où il logeait avec la petite Maya. Il salua avec aplomb la tenancière qui lui grogna une politesse au visage. Sans attendre plus longtemps, il grimpa les marches le menant à sa chambre. Il lui tardait d'enfin se reposer un peu.
Mais un bruit sourd chassa cette pensée de sa tête. Il se précipita dans la chambre les sens en alerte. Pour découvrir, étendue sur le sol, la petite dont il avait la garde pendant trois ans. Il se précipita jusqu'à elle et la releva.
— Eh petite, calme toi, t'es pas en état de bouger...
Un faible murmure émana de la bouche de la petite. Néanmoins, elle n'était pas inconsciente. Lorsque Koniake l'attrapa pour la reposer sur le lit, il sentit une légère pression. Les yeux fatigués et océans de Maya le toisaient alors qu'elle essayait de le repousser à l'aide de sa main restante. Son visage était tordu par un millier d'émotions toutes plus négatives les unes que les autres.
— Va... Va-t-en...
Koniake poussa un profond soupir. Visiblement, le sommeil lui serait refusé encore quelque temps. Il tira la chaise vers lui et tomba dessus. Il fouilla dans sa besace.
— Écoute p'tite, ton pè-
— Arrête de m'appeler comme ça !
— Tu préfère gamine ? Microbe ?
Le visage balafré fit un instant la moue.
— Microbe. C'est masculin au moins. Je veux plus qu'on m'appelle comme une fille.
Koniake arqua un sourcil. Alors ça, c'était inattendu. Et intéressant, d'une certaine manière.
— Et pourquoi ça ?
Le soigneur tentait de parler avec la voix la plus neutre possible, il avait trop souvent tendance à se laisser aller au sarcasme et à la raillerie. L'enfant face à lui, fixa un moment le vide. Les lèvres pincées, les yeux brillants.
— C'est... Je... Mon corps... Il est... Tout... Ce corps est... Pas le mien.
— Oh. Continue.
— Je sais pas, c'est trop bizarre. Je vis dans ce corps, mais c'est pas celui de Maya... Je veux plus être Maya. Les cicatrices... C'est pour les garçons.
Koniake poussa un profond soupir en se pinçant l'arête du nez. Hans... Ça n'allait pas d'éduquer ainsi ta fille ?! Tu étais un scientifique non ?!
— Écoute. Les questions de, je suis une fille, un garçon, une poule, bref, ce que tu veux. C'est un choix. Ce que je veux dire, c'est comment tu te sens par rapport à ça. Est-ce que tu en as envie ? Ce corps balafré pourrait très bien être celui d'une fille. Personne n'est jamais épargné par la vie.
Il s'était levé dans le but de préparer un peu d'eau dans une bassine. Il revint avec et y trempa un linge.
— Maintenant, ce corps doit devenir le tien. C'est vrai que, c'est difficile de se réveiller dans un corps qui a été si altéré, qu'on ne le reconnaît plus.
— Qu'est-ce que tu en sais toi ?!
Koniake eut un sourire légèrement figé en entendant cette remarque acerbe. Tout en approchant son linge du moignon que la progéniture de Hans avait en place de bras, il répondit.
— Ne sous-estime pas l'expérience d'un voyageur, et plus généralement, ne te fie pas aux apparences, si tu veux que les autres ne le fassent pas.
Il finit par jeter le linge dans la bassine une fois qu'il eut lavé la jambe et le bras manquant de l'enfant. Il s'enfonça dans son siège et croisa les bras.
— Réponds juste à cette question. TU veux te sentir garçon, car c'est bien de ça dont il est question, pas vrai ?
L'enfant acquiesça.
— Très bien. Tu veux te sentir garçon, car ton corps n'est plus celui d'une fille ou que tu ne te sens plus fille ?
L'enfant le regarda, avec des grands yeux.
— Réfléchis bien à cette question avant de prendre une decisi-
— Je veux être un garçon. Je sais pas quoi te répondre, mais je sais que je veux en être un.
Koniake ne put s'empêcher de sourire.
— Bon. Tout à l'heure, tu voulais te couper les cheveux non ?
L'enfant acquiesça. Alors, Koniake alla attraper une serviette, changea l'eau de la bassine et de linge puis attrapa un ciseau. Il installa ensuite le garçon sur la chaise et commença à humidifier ses cheveux.
— Bon, je ne suis pas bien doué mais ça fera l'affaire un temps, pas vrai ?
Le garçon se contenta d'acquiescer tandis que ses mèches blondes tombaient.
— Au fait, tu as pensé à un prénom ? Puisque tu peux choisir ton genre, tu as aussi le privilège de te choisir un prénom !
— Pas vraiment... Je crois que... J'aime bien Eliott. C'est le nom du père de ma mère.
Koniake avait senti une certaine tristesse dans la voix du petit Eliott. Le reste de la coiffure se fit dans le silence. Quand enfin, ce fut fini, Koniake passa son linge sur la nuque du petit pour en retirer les cheveux. Avant de lui montrer un miroir.
— Mais c'est moche !
Eliott s'était écrié pour que ça raisonné dans toute la chambre.
— Eh, oh. Je t'avais prévenu. Et comme ça, tu ne me feras pas de concurrence. Héhé. Bon, j'vais aller acheter de quoi manger et peut-être trouvé des bandes pour compléter ta transformation.
Il fouilla dans sa besace et en sortit la lettre de Hans, qu'il tendit à son nouveau compagnon de route.
— C'est une lettre de ton père. Avant toute chose, sache qu'il t'a confié à moi et que je vais t'emmener à la Technopole. Tu as besoin de voir un vrai médecin.
— Pourquoi ? Parce que toi t'es un charlatan qui donne des mixtures bizarre?
— Je... Je suis un guérisseur, je n'ai pas d'éducation technopolitaine ! Non, mais j'te jure quelle insolence. J'me casse, fais pas de bêtise pendant qu'j'suis pas là.
— M'sieur ?
Koniake se retourna, encore dans l'embrasure de la porte.
— Tu peux m'appeler Koniak.
— Mais c'est nul comme nom...
— Eh, un peu de respect !
Eliott jeta un regard autour de lui, pas tout à fait serein.
— Pourquoi vous aidez une... Un enfant comme moi ?
Koniake eut un léger sourire qui habilla son visage.
— Parce que, toi et moi, on est pareils. Et que c'qui t'attends sera pas drôle.
Il sortit de la pièce sans laisser le temps à l'enfant d'en dire plus.