[Initiation Ours] Boucle d'or et l'Ours

Depuis qu'Emi et sa sœur lui avaient donné à manger et plein d'explications, et que Mahal l'avait autant conseillé qu'aidé à s'adapter un peu aux Deux-patte et leurs règles bizarres, Ours se sentait un peu moins perdue. Oh, il restait de très nombreuses choses qu'elle ne comprenait pas, mais, au moins, la Change-forme ne craignait plus de se promener en ville. Tant qu'elle ne prenait rien qui ne lui appartenait pas et qu'elle restait calme, tout se passerait bien. Enfin, c'est ce qu'elle espérait. La robe bleue que la jeune fille portait l'amusait toujours autant. Elle ne se faisait pas à la matière, au frottement sur sa peau, aux plis qui se coinçaient parfois entre ses jambes frêles. Son équilibre était bien meilleur, d'ailleurs, et elle était bien plus à l'écoute de ce qu'elle entendait, essayant par tous les moyens de comprendre plus de sons.

Elle marchait, les oreilles alertes, le nez remuant sous les sollicitations matinales, quand elle percuta quelque chose et tomba sur les fesses, piles dans une flaque de boue due aux pluies ayant arrosé la ville la veille. Ses sourcils se froncèrent d'abord sous la colère quand elle vit sa belle robe toute sale et que l'odeur, désagréable lui monta, puis la douleur du choc arriva brusquement et des larmes firent briller ses grands yeux craintifs. Enfin, Ours leva le regard vers la cause de toutes ces émotions et ses larmes se tarirent. Elle sentit la peur, la tristesse, de l'étrange être qui se trouvait là, et vit la patte tendue. L'ignorant, non par rancœur, mais parce qu'elle n'avait aucune idée qu'elle était supposée la saisir pour remercier la personne de l'intention, la Change-forme se remit sur pied et se figea en penchant la tête de côté. Aucun de ses mots n'était compréhensible alors elle fit de son mieux pour communiquer avec cette nouvelle tête, ravalant larmes et frustration.

- Ouuuuurrssss ! Vêtemmmm...ents ? Saaaaleeuh ?

Elle s'était désignée au premier mot, voulant se présenter. C'était comme cela qu'il fallait commencer une discussion, avait une fois dis Emi. Était-ce parce que cela facilitait le contact ? Ours ne savait pas, les codes des Deux-pattes étaient bien compliqués. Le ton interrogateur des mots suivant devait potentiellement suffire à faire comprendre l'incapacité de l'enfant à les interpréter. Enfin, il fallait espérer... En tout cas, l'apparence de l'individu ne l'effrayait pas, même si elle l'empêchait de déterminer à quelle espèce il appartenait. Elle poussa d'ailleurs sa patte vers le haut, frôla la chevelure aux couleurs ensoleillée en soufflant tout l'air de ses poumons avec un sourire d'une sincérité désarmante, toute fière d'utiliser l'un des premiers mots qu'elle avait appris :

- Joooo...liiiii !

L'étrange Deux-pattes désigna ses longs poils couleur de soleil puis ceux de l'enfant et lui exprima lentement un mot qui devait les nommer. Cheveux ? Donc c'était ça, ces longs fils couleurs feuille d'automne qui chatouillaient ses oreilles et dansaient autour de sa tête ? Alors la couleur soleil se nommait blond ? Et feuille d'automne, c'était roux ? Mais surtout, ses yeux s'illuminèrent et elle lança en bondissant quand elle réalisa :

- Toi ! Tooooiiiiii !

Elle venait d'apprendre comment désigner quelqu'un, mais aussi autre chose, et elle se mit à tourner sur elle, surexcitée avant d'ajouter en cumulant plusieurs mots qui l'essoufflèrent :

- Toi couuuleeeuuur ?

Elle désigna ses habits, puis sa robe, le sol, le ciel et continua de répéter en sautant sur place :

- Couuuuuleeeeeeur ! Couuleuuuuuur !

Puis, quand la terre s'arracha à sa robe pour s'agglomérer dans sa main et que la flaque au sol rejoignit cette dernière, Ours s'immobilisa totalement, fascinée. Elle regarda la sphère tressaillir puis trembler franchement avant de prendre une forme qu'elle reconnut immédiatement. Mais ses mots, et cette imitation, plutôt que de l'amuser ou de la conforter dans son appréciation du personnage, cela rendit l'enfant très triste et elle souffla en hochant la tête franchement :

- Oursss Ourrrrss !

Elle était bloquée ainsi depuis un moment à présent et ne rêvait que de reprendre sa forme première. Ses griffes, sa fourrure, son équilibre sur ses quatre bonnes grosses pattes, ah, tout ça lui manquait... Ses mains se serrèrent sur sa robe et son sourire radieux e transforme en une grimace triste. Elle répéta doucement en se désignant puis en montrant la sculpture de terre :

- Ourssss.... Ourssss joooliiiii...

L'enfant ne savait pas s'il comprendrait ce qu'elle voulait dire. Ce n'était pas bien grave sinon. Il s'était montré gentil, et il avait même nettoyé sa robe... Mais qu'avait-elle à offrir en retour ? Elle qui n'était même pas capable de changer de forme.

Ours faillit reculer brusquement quand il lui ébouriffa les cheveux, mais ses paroles douces la rassurèrent assez pour qu'elle s'abstienne. Elle ne comprit pas tout à fait ce qu'il demanda ensuite, bien qu'elle sût reconnaître le ton interrogatoire qui attendait donc une réponse. Ours se contenta donc de pencher la tête de côté puis ses yeux s'arrondirent lorsque l'ours de boue prit son image, puis changea à nouveau et elle répéta, hébétée :

- Ouuurs, Chaaaange-formeuuuf ennfaaaant ouuuurs ? Toi Chaaaaange-formeuuuh ?

Puis il lui tendit la main et la fillette la renifla, perplexe. Comment était-elle censée réagir face à ça ? En revanche, elle percuta immédiatement sur ce nouveau mot qu'elle affectionnait et emboîta le pas de l'individu en répétant :

- Couuuleuuuur ! Couleuuuuuuuuuur ! Couuuuuuuleur !

Repérant un chapeau de paille accroché à un porche, elle lança à l'homme :

- Blooooond !

Puis un animal ressemblant à Mahal, mais en moins élégant, passa et Ours s'exclama :

- Rouuuuuuuux !

S'arrêtant devant une porte couleur du ciel, la jeune fille se tourna vers son guide en penchant la tête et demanda :

- Couuleuuur ?

Il avait l'air bizarre, moins content de l'accompagner, mais la Change-forme ne savait comment l'exprimer ou si elle en faisait une bonne interprétation. Elle le fixa, plus sérieuse et demanda :

- Toiiii manger ? Ours chasser ?

Ours avait penché la tête ? Qu'était un Ael ? Elle se le demandait bien alors elle souffla, les joues rougies par tant d'efforts de concentration :

- Aaeeeel ?

Quelle rencontre passionnante, elle apprenait tant auprès de l'étrange petit homme poilu ! Ils prenaient de toutes petites ruelles vides et sombres et Ours se sentit intimidée. Elle qui avait tant l'habitude de la verdure omniprésente et de la luminosité s'y réverbérant, cet environnement lui plaisait moins et elle commençait à s'inquiéter. Thorius avait parlé d'un puits, mais elle ne voyait rien contenant de l'eau dans cette direction. Toutefois, elle était trop candide pour penser qu'il cherchait à la duper. Ses grands yeux buvaient les paroles et réactions du bipède dont elle s'inspirait. Quand il montra le ciel, Ours répéta, séduite par ce son :

- Blllleu !

Puis, suite à sa demande, l'Ael la questionna sur ses facultés de survie et l'enfant répondit avec entrain :

- Moooooi chasseeer ! Avant de pencher à nouveau la tête interpellée. Poiiisoon ?

Lorsque la boule de terre recommença à frissonner puis à prendre différentes formes, la Change-forme se mit à sauter sur place en frappant dans ses mains et confirma à l'aide de plusieurs mouvements vifs :

- Ouuurs chasseeer poissssson toiiii !

Toutefois, en regardant autour d'elle, la petite rousse fut désappointée. Elle ne savait pas du tout où aller. Elle se contentait de rester sur les artères principales jusque-là, pour retrouver son chemin, mais l'homme l'avait totalement perdu dans les ruelles adjacentes qui formaient un vrai labyrinthe. Contrariée, Ours huma autour d'elle. Bondissant dans la direction opposée à celle dont elle venait, Ours se précipita dans un coupe-gorge, bifurqua brusquement dans une petite cour intérieure, bondit par-dessus en criant, enjouée :

- Poiiiiisssooooooooon !!!

Elle se retrouva devant un petit étal miteux sur lequel des poissons odorants attendaient d'être achetés. Plusieurs feuilles colorées accueillaient des objets de différentes formes et tailles dont certains sentaient plus ou moins fort. L'enfant attrapa le plus gros poisson de l'étal et fit demi-tour sans culpabiliser pour sauter vers son nouvel ami. Après tout, il attendait, sous ses yeux, d'être mangé. Non ?

Alors qu'elle bondissait joyeusement vers son nouvel ami, celui-ci attrapa son poignet brusquement et l'attira dans une ruelle étroite. Ours s'immobilisa, ne comprenant pas la réaction violente de son guide. L'effort semblait l'avoir fatigué, il était rouge et sa cage thoracique se soulevait rapidement. Il se calma aussi vite qu'il s'était affolé et s'abaissa à la hauteur de la fillette pour lui expliqua qu'un autre chasseur avait attrapé le poisson, et donc qu'elle ne pouvait pas lui prendre comme ça. La rousse pencha la tête de côté, pas certaine de comprendre pourquoi elle ne pouvait pas s'en saisir. Après tout, il y en avait plein d'autres sur le tronc droit, et ils ne resteraient pas bons très longtemps avec cette chaleur. Ce chasseur en avait donc bien trop pour lui seul. Mais comment expliquer cela à l'Ael ? Elle n'avait pas les mots...

Et puis ce mot, voler, qu'est ce qu'il voulait dire exactement ? Prendre quelque chose à quelqu'un d'autre était mal ? Pourquoi ? Cela ne lui causait pas de tort, il avait bien assez de nourriture pour partager... Ours ne comprenait pas. Thorius lui apprit que le chasseur du poisson était en colère, elle-même n'avait pas eu le temps de le voir avant d'être violemment tirée dans la ruelle. Pourtant, cette nouvelle ne la choqua pas. Dans la forêt, quand elle chassait avec ses frères et sœurs, ils se disputaient souvent les proies, les meilleurs ruches sauvages, et certains finissaient en colère. Cela faisait partie de ce moment de traque, d'exaltation qui se finissait soit par le succès soit par la déception.

Comme l'individu insistait sur le fait de repartir, lui parlant de la forêt, la jeune fille hocha vivement la tête pour acquiescer. Toutefois, quelque chose commençait à la chiffonner dans l'attitude de l'homme. Pourquoi la pressait-il autant ? La forêt était immuable, elle les attendrait quoi qu'il advienne. Et puis l'enfant voulait en apprendre plus sur l'endroit où vivaient tous ces bipèdes. Elle s'arrêta soudainement devant une drôle de bâtisse aux murs couverts de dessins et attrapa le bras de Thorius pour lui demander, curieuse, en pointant les motifs composés de petits cailloux plats du doigt :

- Couleurs ?

Elle ne possédait toujours pas la formulation pour demander des précisions, ou des explications, voire même simplement le nom d'une chose, et cela l'embêtait. La Change-forme avait donc utilisé le seul mot en rapport avec le spectacle qui s'étalait sous ses yeux qu'elle connaissait. Ce drôle de dessin la fascinait soudain, elle retrouvait des choses qui lui parlaient dans les motifs. Il y avait là des feuilles, le soleil, des animaux aussi, des arbres même s'ils étaient bizarrement biscornus, et même des deux-pattes ! La rousse s'avança pour tracer le contour d'une feuille du bout des doigts. Elle ne s'habituait pas à cette sensibilité, le fait de sentir l'espace rugueux entre chaque carreau la fit sourire béatement.