Soleil rouge sur mer de sang. [& Zei]

Ha, qu'il avait été sot ! Il avait pourtant suivi la carte que sa mémoire avait photographiée à la perfection sans jamais quitter la voie qu'il y avait tracée. Étaient-ce les courants qui l'en avaient détourné ? Ou bien les forêts de Kelp qui l'avaient égaré ? Il ne saurait le dire. Après tout, il n'était qu'un voyageur débutant que la quête devait mener à l'amour. De nombreux récits commençaient ainsi, mais ils ne se terminaient jamais sans que le héros ne surmonte de nombreux obstacles. Celui-ci était sûrement le premier d'une longue série.

Il laissa émerger son front, puis ses yeux et enfin l'entièreté de son visage à la surface. Le ciel était bas, d'un gris de plomb, lourd et orageux. Ah, c'était bien sa chance ! Les terres qu'il observait de loin n'avaient rien de la verdoyance promise par les récits que les bardes faisaient de Sahl. À quel point avait-il dérivé ?

Il nagea discrètement sous la surface jusqu'à atteindre une plage de galets grisâtres et poussiéreux. Il ne faisait ni vraiment chaud, ni vraiment froid, mais le paysage lui glaça le sang. Tout semblait désolé, vide de toute trace de vie. Il commençait malheureusement à saisir la nature du royaume qui s'étendait devant lui. Il ne pouvait s'agir que des Terres Maudites. Ah ! Le malheureux ! Pourquoi n'avait-il pas loué de Hudestri ? Il aurait perdu moins de temps... L'idiot avait voulu observer le paysage sur sa route et s'arrêter dans plusieurs petits villages sous-marins afin de rencontrer des habitants plus humbles de la mer qui l'avait vu grandir.

Alors qu'il observait la plage de caillasses - qui lui avaient d'ailleurs l'air tranchantes - pour chercher un point où sortir discrètement, un grondement assourdissant fit vibrer l'onde. Il ne manquait plus que ça... Il se hâta de gagner une formation rocheuse, se hissa d'un bond sur une pierre à peu près plate et changea sa magnifique queue bleutée et argentée en deux longues jambes imberbes et peu musclées. Il s'était entraîné, l'année précédente, à en faire l'usage dans l'eau, pour s'y habituer. Mais, en comparaison de l'effort que cela demandait de les mouvoir sur terre, où son corps était soumis à la gravité, se mouvoir sous l'eau était d'une facilité enfantine.

Il boitilla jusque au-dessous d'un grand champignon rouge qui semblait étrangement recouvert d'écorce et s'y abrita juste à temps pour ne pas se trouver plus trempé qu'il ne l'était déjà. Il extirpa de son bagage un pantalon noir, des bottes et une chemise de soie dont les larges manches couvraient jusqu'à ses poignets. Tout était mouillé, mais cela lui était bien égal. Alors qu'il observait les alentours, déprimé de cette rude entrée dans le monde non-aquatique, il repéra une silhouette floutée par les trombes d'eau que le ciel déversait, comme s'il désirait laver le monde, et la héla :

- Par ici, mon brave ! Si vous restez sous cette averse, vous risquez de vous noyer.

En disant cela, il pria silencieusement pour que la princesse ait eu plus de chance, car il n'aimait pas l'imaginer grelottante et perdue sur des terres aussi inhospitalières.

Mephisto rit à sa remarque. Il aurait bien voulu lui offrir de quoi se sécher, au moins, le visage. Mais tout ce qu'il possédait avait prit l'eau. Seul son carnet était protégé des affres du temps. Il était soulagé qu'il s'agisse d'un homme. Ainsi, il n'avait pas à se soucier des effets de son essence et de son effet sur son bras. Et, s'il mourrait vraiment de faim, il aurait moins de remords à se servir. Il chassa cette pensée d'un mouvement de bras, saluant l'individu en la questionnant, stupéfait et curieux à la fois :

- Je pensais qu'il n'y avait qu'un simplet comme moi pour atterrir au milieu de nulle part durant une si terrible tempête. Pas que je vous insulte mon cher, entendez bien ! Puis-je vous demander en quelles circonstances vous avez atteint ces lieux et de quelle volonté vous étiez animé ?

Il n'osait pas encore parler de la princesse. Cet homme et le bandeau cachant son œil l'intriguaient autant parce qu'il était le premier Ezylonien qu'il croisait sur la terre ferme, que parce qu'il se trouvait là, au milieu de nulle part. Toutes ses caractéristiques et manières alléchaient donc sa curiosité. D'ailleurs, il ne résista pas longtemps et s'exclama avec éloquence :

- Je dois vous dire, monsieur, que ce cache œil m'intrigue autant qu'elle m'effraie. Possédez-vous quelques pouvoirs qui nécessitent d'en protéger les quidams tels que moi à l'aide d'un objet magique freinant sa terrible puissance ?

Une flaque commençait à se former sous les pieds maladroits du triton. Fort heureusement, il n'avait pour l'instant pas froid, mais cela ne tarderait pas, surtout avec cette humidité dans l'air.

- Pensez-vous que nous pouvons utiliser ce matériau pour allumer un feu ? Demanda le bellâtre en tapotant l'écorce écarlate de l'index, étonné de la trouver si rugueuse alors qu'elle paraissait lisse.