Remplacer les savoirs par d'autres. [Pv Shanette]

À bien des égards Koniake était un homme secret. Ainsi, il n'appréciait pas tellement que l'on soit au courant de choses trop intimes ou secrète à son sujet. Mais, comme les cadavres avaient tendance à être plus loquaces qu'on ne le croyait et qu'il avait, de toute façon, embrassé la profession de soigneur, il devait trouver d'autres alternatives.

Et quoi de mieux pour faire oublier un secret qu'un second secret ?

C'était dans cette optique qu'il avait donné rendez-vous à Shaan à Port Dalian. Directement sur les docks. Il ne voulait pas trop s'attarder en ville. Eliott n'était pas tout à fait enchanté d'être ici.

Lui qui d'ordinaire se plaignait pour un oui ou pour un non, tout en fonçant tête baissé vers l'inconnu était resté silencieux quand Koniake lui avait parlé de leur retour à Himahaba. À défaut de lui avoir trouvé un bon livre à lire, il lui avait donné quelques récits de ses voyages pour qu'il puisse penser à autre chose. Bien qu'il les avait rapidement dédaignées pour creuser le bois d'une caissette.

De son côté, il tentait toujours de déchiffrer les études d'Hans, ce qui allait être plus qu'utile aujourd'hui.

Shäan s'étira face au soleil avant de se frictionner les bras. Les journées s'enchaînaient, les aventures aussi, c'était plaisant et fatiguant à la fois. Elle rêvait d'une semaine de vacances, mais Koniake avait sollicité son aide, et l'affaire dont il avait fait mention avait piqué son intérêt. Il fallait dire que la curiosité naturelle de la dame n'avait pas aidé à refuser... Après le bal et la traque dans les terres maudites elle avait pris un bateau à Daemarel et cela faisait plusieurs jours qu'elle naviguait. Entre les parties de cartes avec l'équipage, les pages que la brune noircissait de croquis, et les repas gorgés de vin et de rhum en fonction de la table à laquelle elle était invitée. Elle eu même le temps de lire un récit de voyageur dans les monts gelés d'Himabaha. Oui, la brune l'avait vu dans une vitrine, et comme c'était sa destination, elle s'était dit que ça l'occuperait durant la traversée de la mer intérieure. Toutefois, elle n'était pas sure d'avoir appris grand chose d'utile...

Elle débarqua en fin d'après-midi, alors que l'astre de feu entamait sa descente, parant la voûte céleste de couleurs chaudes. Peu habituée au froid, voir pas du tout, se retrouver dans cet environnement était pour la dame assez désagréable. Koniake, dans sa missive, avait heureusement déclaré qu'il l'attendrait sur les docks, ainsi, elle n'aurait pas à se perdre dans une ville qu'elle ne connaissait pas jusqu'à mourir de froid. Attrapant sa besace et son arc, Shäan salua l'équipage, remercia encore une fois le capitaine pour cet agréable voyage en bonne compagnie, et descendit grâce à une blanche posée entre le modeste navire et le quai auquel il s'était ancré. À peine l'eut elle quitté que les marins se mirent en mouvement sous les ordres de leur employeur. La dame partit sans s'attarder. La fraîcheur de l'air avait brusquement chuté, la surprenant malgré le fait qu'elle se soit acheté une cape plus épaisse à Sahl... Elle n'avait pas trouvé plus chaud là-bas, il fallait donc rapidement qu'elle voit avec celui qui l'avait convié où se fournir des vêtements plus chaud.

Elle noua rapidement son carquois à sa taille, et ses hautes bottes fourrées, également achetée pour l'occasion, la menèrent vers les hangars portuaires et les premières rues qui montaient vers les commerces et habitations. Elle resserra sa cape pardessus sa robe de laine de muffaloose épaisse d'un noir profond en frissonnant. Décidément, plus les minutes passaient et plus la brune se sentait en terre hostile... Comment pouvait-on supporter de vivre dans de telles conditions ? C'est en pestant qu'elle chercha l'homme aux cheveux flamboyant du regard, le repérant non loin. D'un pas pressé, elle alla à sa rencontre et s'exclama pour attirer leur attention à tout deux, pusiqu'Eliott se trouvait non loin :

- Il fait toujours aussi frisquet, ici ? Comment allez-vous Koniake ?

En disant ça, la dame se rendit compte que ce devait être encore pire hors de la ville et pâlit. Chassant ses craintes, elle questionna son hôte :

- Comment avez-vous atterri dans le coin, vous et Eliott ? Enfin, si vous me l'accordez, j'aimerai ne pas trop traîner au-dehors... Je n'ai malheureusement pas vraiment réussi à me fournir un manteau adapté à ces bourrasques glaciales.

Koniake achevait enfin la copie du chapitre qu'il avait réussi à traduire. De tous ceux qu'il avait découverts, celui-ci était le plus lugubre. Néanmoins, une voix lui fit lever la tête et fermer ces carnets pour les placer dans sa besace. Eliott, leva les yeux également et imita son protecteur en refermant sa lecture du moment, tout en refermant la lame du couteau que lui avait offert Zeï. Il salua faiblement la jeune femme, en lui faisant un sourire qui, bien qu'éteint, n'était pas dépourvue de chaleur.

Contrairement au climat. Koniake se défit d'ailleurs de sa fourrure, qu'il portait simplement sur ses épaules, pour se glisser auprès de Shäan dans une démarche féline, et lui déposer sur les épaules.

-Nous sommes d'ici ! Ne soyez pas gênée et prenez mon manteau ! Je ne crains pas le froid ! Je suis né du souffle glaciale de Samui ! Les Mont Gelés sont ma maison, la morsure du froid est pour moi une chaleureuse caresse maternelle !

Tout en disant cela, il fit une révérence, alors qu'il dévoilait ses bras nus en se délestant de son manteau. Il ne portait qu'une veste sans manche, rembourrée et refermée sur son torse. Il alla attraper son luth et son paquetage avant de se retourner vers la jeune femme.

-Eh bien, le retour à la maison a toujours quelques chose de grisant ! En revanche, désolée, mais il leva son doigts vers les montagnes avec un air désolé, il va falloir grimper jusqu'à là-bas.

C'était approximatif, évidemment, mais ça donnait là une idée rapide de ce qu'ils allaient traverser.

-Néanmoins, nous pouvons aller nous réchauffer avec quelques boissons chaudes !

Il se dirigea vers Eliott et l'aida à se glisser dans le harnais qu'il avait fait fabriqué ici-même. Bien que le garçon ait des prothèses, il se fatiguait vite avec et, particulièrement aujourd'hui, il n'avait pas l'air très vaillant. C'est donc chargé comme un muffaloose que Koniake invita Shäan à le suivre. Ils marchèrent pendant quelque temps, assez pour que l'air marin ne soit qu'un vague souvenir. Au contraire de la glaciale caresse des vents d'Himabaha. Le soigneur poussa la porte d'une petite auberge invitant la dame à entrer, il salua chaleureusement le barman qui lui répondit par un salut tout aussi chaleureux.

-J'aime bien cet endroit, le personnel y est très avenant !

Koniake avait dit à la jeune femme, tout en se défaisant de ce qu'il portait, il installa Eliott sur une banquette. L'enfant ne perdit d'ailleurs pas de temps pour s'y recroqueviller. Un serveur arriva rapidement, pour prendre leur commande.

-Hm... Un rhum, avec les glaçons éternels, s'il vous plait ! Et toi, Eliott ?
-Hmmm... Euh... Juste de l'eau.

Koniake arqua un sourcil face à l'enfant qui passait sa main contre son ventre en tentant de se caler convenablement. Mais quand Koniake voulut s'enquérir de l'état de son protégé, il fut accueillit par « mhhhhm » grognon. Koniake finit par se tourner vers Shäan qui avait sûrement déjà commandé.

-Alors, vous avez fait bon voyage ?

Un large sourire s'était dessiné sur son visage.

À son approche, Koniake s'était redressé et Eliott lui avait accordé un sourire un peu faiblard. Était-il malade ? Elle ne l’espérait pas. Pauvre petit, avec ce froid ! Après sa réflexion, l'homme s'avança pour poser sur ses épaules sa fourrure. La dame voulut protester, mais il lui expliqua ne pas souffrir du vent glacial et elle haussa les épaules en se rangeant à son avis. Après tout, elle, le ressentait jusqu'aux os, alors s'il insistait, la brune n'allait pas se faire prier ! Serrant la peau de bête contre le haut de son corps, Shäan observa sa révérence et sa tenue. Elle savait que certaines races craignaient moins le froid que d'autres, mais tout de même ! Le voir ainsi la congelait...

Son hôte lui indiqua qu'ils devaient quitter la ville et rejoindre les hauteurs. Contrairement à ce qu'il avait dû craindre, ce fut l'excitation qui étira le sourire de la dame et non la crainte. Elle avait hâte de voir ces nouveaux paysages, d'en croiser les habitants et d'en apprendre les mystères ! C'est donc avec enthousiasme qu'elle répondit au musicien :

- Je suis toute excitée de découvrir les contrées d'Himabaha ! Mais allons d’abord boire un verre, c'est moi qui vous invite !

Elle désigna la fourrure sur ses épaules, son invitation était un remerciement pour cette charmante attention. Ainsi, la brune se laissa guider dans les rues, si loin du port que le bruit de la mer disparut pour laisser place aux rumeurs de la ville. Ils pénétrèrent dans une auberge dont Koniake semblait connaître le tenancier qui le salua avec chaleur. Le jeune homme lui confirma justement qu'il connaissait l'endroit et le personnel, ce qui ne l'étonna pas, vu son entrée sans précautions. Tandis qu'il installait Eliott près d'une table, Shän ne perdit rien de leur échange, plissant les yeux avec suspicion.

- Un grand thé bouillant avec du miel pour moi.

Le serveur rit à sa grimace avant d'assentir en précisant qu'il faisait particulièrement froid aujourd'hui. Son hôte reporta son attention sur la brune qui répondit à sa question en lui rendant son sourire :

- Plutôt agréable, je vous remercie. Le capitaine du navire qui m'a transporté était très avenant et ses marins de braves hommes à la langue bien pendue. Je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer. J'avais tout de même hâte d'arriver. Je dois l'admettre, votre invitation a piqué ma curiosité.

Elle se tue un instant, glissant un regard en coin vers le garçon roulé dans son coin et se balançant légèrement d'avant en arrière. Se retournant vers Koniake, elle lui souffla à voix basse, de sorte à ce qu'Eliott ne les entendent pas, inquiète :

- Que lui arrive t il ? Indigestion, coup de froid ? Il ne semble pas très vaillant en tout cas.

Shäan appréciait l'enfant pour une raison qu'elle ignorait et le voir ainsi lui faisait mal au cœur. Mais si l'homme décidait de ne pas lui répondre franchement, elle n'insistera pas, après tout, cet enfant n'était pas sous sa responsabilité, et elle était loin d'avoir les compétences maternelles nécessaires pour prétendre savoir ce qu'il fallait faire...

Koniake n'avait pu s'empêcher d'offrir à Shaan un sourire plein de bienveillance et de reconnaissance quand elle avait proposé de payer les verres.

– L'attention nous va droit au cœur !

Il avait dit ces quelques mots en tenant la porte à la dame. Plus tard, c'est un sourire amusé qui prit place sur son visage quand la brune commanda sa boisson. Les étrangers séjournant au sein de l'Empire avaient toujours le réflexe de prendre une boisson chaude pour se réchauffer. Mais rien ne valait un bon vieux rhum, selon le soigneur ! Cela dit, au contraire de nombreux voyageurs et touristes, la curiosité de Shaan et son enthousiasme l'emportaient sur la crainte du froid.

Une fois que le serveur eut pris leur commande et soit retourné derrière le bar pour les préparer, la jeune femme et le jeune homme reprirent leur discussion.

Koniake acquiesçait aux dires de la jeune femme, et alors que leursboissons venaient d'être apportées par le barman, l'éphèbe cacha son sourire crispé derrière son verre quand elle mentionna la curiosité qu'avait suscitée l'invitation de Koniake.

Il n'était toujours pas sûr que ce soit une bonne idée, mais comme à chaque fois qu'il hésitait, il laissait le destin choisir.

En revanche, la remarque sur Eliott lui fit froncer les sourcils. Le soigneur reporta son regard sur l'enfant, recroquevillé sur lui-même, qui n'avait pas touché son verre d'eau.

Koniake avala une deuxième gorgée qui irradia sa gorge avant de se pencher auprès de Shaan.

— Il est éteint et mélancolique depuis que nous sommes revenus ici, mais il n'y a qu'aujourd'hui où il paraît si souffrant.

L'inquiétude de Shaan avait été communiquée à Koniake. Il se pencha auprès du garçon et lui demanda d'une voix douce, en portant la main sur son épaule.

— Eh, Eliott, tu vas bien ?

Le garçon chassa la main du soigneur d'un coup de demi-épaule en se tournant. Et cracha un "oui". Avant de se remettre en position assise pour réajuster sa prothèse de jambe.

— Bouge, Konnard.

Si d'ordinaire le surnom était une marque d'affection dissimulée aux yeux du soigneur, là, Eliott l'avait simplement craché, avec un certain agacement, voir même, du ressentiment. L'homme s'écarta en laissant Eliott boiter à travers le bar. Il le regarda pousser de son bras valide la porte des toilettes.

Koniake reprit place face à Shaan en haussant les épaules.

— Il faudrait que je l'examine, mais il me faudrait quelque chose pour l'attacher... Ce garçon est plus vif qu'une kokette et plus malin qu'un groupuscule de pixies...

Si la remarque avait matière à rire, le visage de Koniake ne semblait pas disposé à l'humour. Cet instant d'inattention faisait ressortir ses cernes violettes qui fendaient son joli visage. Ses lèvres étaient abîmées par ses dents, au même titre que ses ongles, et si ses cheveux n'étaient pas teints, l'on aurait pu en retrouvé de la couleur de la neige qui bordaient les terres d'Himabaha.

Néanmoins, une gorgée de rhum plus tard et le soigneur était de nouveau pimpant comme tout.

— Nous parlions, si je ne m'abuse de votre voyage, et des raisons qu'il y avait poussé ?

Doucement, il sortit une liasse de documents extrait des recherches de Hans, encore codées. Il n'allait pas abattre toutes ses cartes maintenant.

Shäan haussa un sourcil. Éteins, mélancolique, roulé en boule et refusant de manger ? Bien qu'elle ne fasse pas partie des races affectées, il y avait une définition bien précise à ce mal. Elle tourna vers Koniake un regard faussement vexé en demandant, accusatrice :

- Pas besoin de l'attacher. Si nous le coinçons dans la pièce, il n'ira pas loin.

La dame tourna vers son hôte avec un sourire malicieux, mais le perdit en voyant l'inquiétude qui rongeait ses traits. Il se faisait vraiment du mouron pour Eliott et ses cernes désignaient clairement un manque de sommeil. Une chance qu'elle soit là ! Le laissant boire, elle réfléchit rapidement à ses options et l'observa sortir une pile de documents annotés. Posant sa main sur son épaule avec chaleur, la brune l'encouragea :

- Nous verrons cela plus tard, il y a plus urgent et je ne suis pas pressée. Venez !

Elle prit son bras et le tira vers les toilettes. De loin, la scène aurait pu susciter l'attention, mais il n'y avait en réalité rien à voir. Shäan poussa Koniake dans la cabine où se trouvait un meuble avec une bassine d'eau et une sorte de pan de bois qui cachait un seau odorant. La dame dut se retenir de vomir tant son odorat s'en trouva incommodé. Prenant son courage à deux mains, elle poussa Koniake dans la pièce et referma derrière eux. Puis, avec douceur, elle souffla au garçon qui devait être derrière le paravent :

- Eliott, nous ne pouvons pas te laisser comme ça, il faut que tu laisses Koniake t'ausculter. Il en va de ta santé. Tu veux bien sortir de là qu'on en discute ? Est ce que tu as mangé ou bu quelque chose de douteux ? Peut-être que ce n'est qu'un coup de froid, mais je suis certaine que dans tous les cas, nous pourrons t'aider.

Elle ajouta un peu plus durement, appuyé contre la porte, en l'entendant leur demander de s'en aller :

- Je ne te laisserais pas sortir avant que nous sachions ce que tu couves.

Koniake fut un instant décontenancé par la question de Shäan. Autant par le fait que c'était inattendu, qu'il n'avait pas une seule fois fait le lien entre tout ça et que la question de la brune en soulevait une autre, dont il faudrait s'occuper rapidement. Il se reprit immédiatement en entendant Shäan prendre la parole une seconde fois.

— Il a 13 ans. Vous avez vu juste, en effet, à peu de choses près, en tout cas. Prenez garde à ne pas utiliser le mauvais pronom... Il est encore jeune et ne tolère qu'assez peu les confusions et autres bourdes de ce genre.

Sa première phrase avait été dîtes de manière un peu moins expressive, presque sévère, mais la suite avait été ponctué de ce sourire entre la bienveillance et la roublardise qui caractérisait le soigneur au quotidien. Sans que Koniake puisse vraiment réfléchir à la situation, il se retrouva tiré à travers le bar vers les toilettes. Il avait pris soin de glisser les carnets d'Hans dans sa besace quand Shäan lui avait indiqué que cela pouvait attendre. Il glissa de petits sourires et signes de mains aux badauds qui le voyaient s'enfuir dans les toilettes avec une belle jeune femme.

Oh, certes, Koniake n'aurait pas craché sur un moment d'intimité avec la belle brune - quand bien même elle en savait bien trop de chose à son propos - mais là, la situation était autrement plus complexe et ne laisser nulle place au batifolage.

Une fois dans les cabinets, alors qu'une douce effluve d’excrément le fit grimacer, la chercheuse de trésor continua de prendre les choses en mains - malgré son dégoût apparent pour les lieux. Après qu'Eliott ait demandé aux adultes de partir d'une voix faiblarde, Shäan en remit une couche, tandis que Koniake collait son oreille contre le paravent. Il lui sembla entendre, comme un sanglot. Silencieux, étouffé, mais un sanglot quand même. Il posa ses doigts contre le meuble et parla doucement.

- Eh, Eliott. Je suis comme toi, tu te souviens ? Alors ne...
- Arrête de dire n'importe quoi ! Je suis un vrai garçon, moi ! Et clairement pas un phénix non plus !

Koniake ferma les yeux. Il avait tant de fois eu ces réflexions - sur le genre, non sa nature de phénix, quoique. D'ailleurs, cette dissonance d'identité avait été un des seuls sujets sur lesquels Meiziël et lui s'étaient jamais disputés. Il rouvrit les yeux.

- Tu es un garçon. Y a pas de vrai ou de faux garçons. Mais si t'as pas envie qu'on remette en cause ta masculinité, faut que tu me...

Il jeta un regard à Shäan.

- Que tu nous laisses entrer. On peut t'aider, t'as beau être mature, avoir vu plus que tous les enfants de ton âge verront un jour dans leur vie, crois-moi, ce n'est qu'un fragment d'existence comparé à Shäan et moi.

Évidemment, de son côté, en parlant d'existence, il parlait des quarante années - approximativement - de vie qu'il avait vécue dont il peinait parfois à se souvenir et qui lui semblaient se compter en siècle. Les horreurs qu'il avait vu avec son mentor, les moments d'hilarité, tout ça, ça rallongeait le temps. Pour Shäan, il imaginait qu'une chasseuse de Trésor n'allait pas laisser ses fesses se ramollir dans les somptueux fauteuils de Sahl. Et elle savait trop de choses sur lui, autant flatter son égo.

Enfin, l'argumentaire de Koniake sembla convaincre. Le pied de l'enfant poussa légèrement le paravent, donnant aux adultes le signal pour entrer. Doucement, le soigneur poussa la porte. Les adultes découvrirent le jeune garçon, prostré dans un coin. Le pantalon taché de sang. L'enfant releva les yeux rougis par l'angoisse et la honte.

- Je comprends pas... Je... Je... Je suis plus une fille...

Koniake s'approcha doucement. Et s'accroupit, en sortant un baume de sa besace.

- Non, on est juste des garçons qui se blessent plus facilement que les autres.

Doucement, il préleva un peu de baume et demanda à Eliott de lui montrer où il avait mal. Le garçon leva son haut et baissa légèrement son pantalon pour dévoiler son ventre, doucement, le soigneur approcha sa main du ventre du garçon. Eliott, ferma les yeux résignés. Le visage suintant de sueur.

Ainsi donc, elle avait touché du doigt la vérité. C'est en soupirant intérieurement que Shäan avait prit la décision de les aider. De nombreuses émotions semblaient se bousculer chez le barde, et le pauvre jeune garçon devait en traverser d'autres encore. Cela risquait de finir en joyeux cafouillage si elle ne les aidait pas... De plus, comment prétendre aux informations que souhaitait révéler Koniake si elle les laissait tomber quand ils avaient visiblement besoin d'un coup de pouce ? Elle n'était pas la meilleure des amies, mais la brune avait ses principes.

Derrière la porte des toilettes, ils avaient tous l'air bien gênés, sauf Eliott dont les sanglots d'incompréhension emplissaient l'espace par intermittence. L'enfant lança soudainement à son mentor une pique que la dame n'avait pas sentie venir. Son regard se posa un instant sur le barde, aussi choqué qu'il les mettent ainsi en danger, que désolée qu'il le rejette ainsi. Shäan prit le soin de regarder autour d'eux. Personne ne paraissait avoir entendu, ils s'évitaient au moins de mortels ennemis dans l'immédiat. Avec conviction, Koniake échangea avec le jeune homme et celui-ci finit par les autoriser à entrer dans la petite cabine où il était terré, effrayé. En voyant le sang sur les bas, la dame sut qu'il ne s'agissait de rien de grave et un poids quitta ses épaules.

Dans les yeux bleus d'Eliott se mélangeaient honte et crainte et elle eut l'impression de voir certaines de ses connaissances au village, au moment où elles avaient, elles aussi, traversées cette épreuve pour la première fois. S'agenouillant à hauteur du visage du garçon, elle caressa ses cheveux avec douceur en lui soufflant, rassurante :

- Tu es le seul à pouvoir décider de qui tu es, mais tu ne peux pas lutter contre ce que tu es. Le corps que la Chimère t'a donné ne correspond pas à la vision que tu as de toi-même, pas d'inquiétude, il suffit de s'adapter.

En voyant Koniake sortir un baume et le diriger vers le ventre du jeune homme, la brune haussa un sourcil et interrompit son geste doucement pour capter son attention tout en continuant de lui expliquer :

- La plupart des races dotées d'intelligence, et certains grands mammifères, vivant à Ezylone sont soumises à un cycle menstruel. C'est ce qui permet aux femmes, si elles le souhaitent, d'avoir des enfants. Mais on a dû t'enseigner ça, non ? Enfin, tout ça pour dire qu'à partir de maintenant, ton corps va évoluer de façon à pouvoir donner la vie. Tes hanches vont s'élargir, ta poitrine peut devenir plus volumineuse...

Par crainte d'accentuer son stress avec ces révélations, Shäan préféra passer à des explications plus concrètes, toujours d'un ton doux et tranquille.

- Tu peux bander ta poitrine pour la cacher, c'est assez facile, mais pour ce qui est de ces saignements, et des crampes d'estomac, tu en souffriras une fois par mois, durant environs une semaine. Pour éviter les tâches, je sais que certaines femmes utilisent des bandages qu'elles lavent à l'eau bouillante pour éviter les infections.

Elle jeta un regard curieux au barde. Avait-il aussi ce genre de problème ? Elle en connaissait peu sur l'anatomie des Phénix. Prenant une inspiration, elle caressa le bras d'Eliott et reprit :

- Pour ce qui est des maux de ventre, la camomille est un très bon anti-inflammatoire, le gingembre et l’achillée millefeuille sont d'excellents antispasmodique, enfin, si je me souviens bien. J'ai appris tout ça à Jañgala, sous la directive de Rune, la Chamane d'Emerald. Elle savait tant de choses sur les plantes, je ne pouvais qu'être impressionnée par un tel savoir ! Malheureusement, je n'ai pas retenu la moitié de ce qu'elle m'a appris, haha...

Chassant le souvenir pour revenir au présent, la dame désigna le vêtement souillé :

- Et si je lavais ça et que je te trouvais de quoi te rhabiller pendant que Koniake te masse ? Je vais voir si je peux acheter des bandes en ville, tu verras ce n'est pas si terrible. On s'habitue à ce qu'il parait.

Shäan haussa les épaules en tendant la main pour que l'enfant lui donne son pantalon. Elle voulait le laisser un peu seul avec Koniake, qu'ils puissent parler ensemble tous les deux de sa nouvelle situation

Lorsque la brune arrêta le mouvement de Koniake, il fut un moment surpris. Avant d'être attendrie et aussi rassuré qu'elle soit là. Eliott appréciait Shaan, mais par-dessus tout, il la respectait. Ainsi, il écouterait toujours plus la brune dans un moment comme celui-ci. Qui plus est, Koniake était habitué à cette vie, il avait accepté la contradiction entre son corps et son esprit, il l'avait assimilé. De ce point de vue, il n'était pas sûr de pouvoir se mettre à la place de son jeune apprentie.

Néanmoins, être ainsi passif alors qu'il était un des premiers concernés et qu'en plus il était un guérisseur, l'heurta dans son ego, ainsi, il se permit d'ajouter quelques mots quand Shaan parla des saignements.

— On pourra aussi épingler des cotons à tes sous-vêtements, si tu préfères. Pour tes hanches, ta poitrine, n'aie crainte. Il existe bien des façons de les camoufler et il n'est pas écrit que tu auras des attributs très développés !

Il fit un signe pour se montrer lui-même. La nature avait bien fait son travail sur Koniake. Sa poitrine était inexistante et si ses hanches se dessinaient, il avait longtemps travaillé son corps pour que, même dans le plus simple appareil, il ne soit pas évident qu'elles étaient issu d'une morphologie de femme. Et le reste du temps, il appréciait portait de larges pantalons, camouflant ma moindre courbe. Eliott aurait sûrement le même destin, mais ce que Koniake se garda de dire, c'est que les mutilations qu'avait subi le jeune garçon y seraient pour beaucoup dans cette absence de développement. Koniake se para d'un sourire amusé pour détendre l'atmosphère.

— Beaucoup d'exercices physiques t'attendent, mon garçon !

Lorsque Shaan reprit pour parler des bandages et des crampes d'estomac, le soigneur écarquilla les yeux.

— Eh bien, c'est un sacré mentor que vous avez eu là, j'en viens à me dire que vous êtes peut-être aussi bonne guérisseuse que moi ! Voir meilleure !

Un raclement de gorge se fit entendre, Eliott n'aimait déjà pas quand Koniake digressait, mais alors, dans cette situation, c'était pire. Ainsi, Koniake se racla la gorge avant de reprendre avec plus de sérieux.

— Quand nous retournerons à mon atelier, je regarderai si je n'ai pas d'équivalent à ces plantes. Néanmoins, je suis certain d'avoir encore du gingembre.

Il marqua une nouvelle pause pour laisser parler la brune. Avant d'avoir un léger sourire sur le visage.

— Il n'y a nul endroit à Himabaha où vous trouverez plus de bandes que dans ma besace... À moins de se rendre dans mon atelier. Je pense d'ailleurs qu'il faudrait mieux s'y rendre le plus tôt possible. En allant laver ces vêtements, pouvez-vous demander un peu d'eau chaude ? Je dois avoir de quoi soulager Eliott en attendant.

Il se retourna enfin vers l'enfant pour reprendre son massage. La discussion et le souci que l'enfant causait aux adultes avaient eut le don de le calmer. La tristesse avait laissé place à une expression de culpabilité et de frustration extrême. Pourtant, une fois qu'ils furent seuls, dans le silence, l'ambiance n'était pas pesante. Elle avait même quelque chose d'agréable. Pour l'un comme pour l'autre.

Une fois la pommade étalée sur le ventre d'Eliott. Le soigneur plongea sa main dans sa besace et en sortit un rouleau de bande mâtes.

— Tu veux les essayer ? Il va falloir t'y habituer, assez vite. Le temps de pouvoir te muscler suffisamment pour ne plus avoir à t'en encombrer.

Eliott acquiesça. Sans même lancer de pique à son mentor sur le fait qu'il portait toujours ses bandes. La vérité, c'était que Koniake n'avait jamais eut le courage dr se muscler suffisamment pour faire disparaître tout l'excèdent de chaire, de sorte à pouvoir se passer de bandage.

Doucement, Koniake prit soin de s'occuper de passer les bandes autour du torse du jeune garçon, pour finalement les nouer dans son dos.

Shäan avait hoché la tête avec douceur quand le soigneur avait avancé d'autres solutions pour rassurer l'enfant. Il était vrai que muscler le corps le rendrait moins féminin, mais cela ne cacherait pas les troubles de son essence. Si l'étonnement avait ensuite tourné la curiosité de Koniake envers elle, la brune avait simplement haussé les épaules en certifiant avec assurance après avoir fait un clin d'œil à Eliott :

- La meilleure d'entre toute ! Oh, non, vous n'avez rien à craindre de moi, haha… J'ai seulement retenu deux trois détails durant mes leçons et par la vie à Emerald. Vous adoreriez cet endroit, je pense.

Elle ajouta en pouffant :

- Je passais plus de temps avec les chasseurs qu'avec la Chaman pour le plus grand désespoir de ma tutrice. J'ai toujours eu la bougeotte.

La dame hocha à nouveau la tête quand Koniake proposa de se rendre chez lui pour y trouver herbes médicinales et confort. Shäan acquiesça à sa remarque suivante et sorti de la pièce en quête de vêtement propre et du nécessaire pour nettoyer la tâche écarlate. Se rendant au bar, elle eu la chance d'y trouver une tavernière sympathique et très compréhensive qui lui donna un broc d'eau chaude, du savon et lui proposa même l'un des pantalon de son fils, une simple culotte de cuir fourré qui restait tout de même confortable bien qu'un peu grande, et ce, pour un prix très correct, ainsi que des dessous de rechange. C'est donc ravie que la brune retourna dans la petite pièce et déposa le contenant d'eau chaude près de Koniake avec un sourire :

- Et voilà le travail ! Tiens Eliott, regardes ce que je t'ai trouvé, tu vas être comme un prince avec ce pantalon !

Elle entreprit ensuite de frotter le bas souillé dans un seau de bois avec le savon qui dégageait une odeur légèrement âcre. La dame essora ensuite le vêtement et l'agita pour le défroisser. Il ne restait plus qu'à le laisser sécher. Durant le temps qu'elle avait passé en nettoyage, Koniake et Eliott avait du finir de leur côté, elle se tourna donc vers eux et gratifia l'enfant d'un sourire encourageant :

- Tu te sens un peu mieux ? Son sourire se fit malicieux et Shäan ajouta, je vais devoir te porter sinon !

Son regard se porta sur Koniake et elle demanda :

- Sommes-nous prêts à partir ?