[Initiation de Jovany] × Le Murmure de Saesru.

- J'imagine que tu ne parviens pas encore à te faire à la ville, n'est-ce pas ? Nous sommes toujours un peu méfiants face à l'arrivée de nouvelle tête, mais j'imagine que tu l'as deviné.

L’inconnue ne quitte pas la pénombre pourtant son ton est chaleureux. Elle conserve une aura de mystère en se voulant accueillante. Cette dualité laisse Jovany confus. Doit-il se méfier ? Il tente de mieux discerner les traits de Scuma, s’il s’agit bien son nom. La change forme de type félin n’est pas issue d’une lignée de lionnes comme le garçon l’a d’abord pensé. Quelques taches sur sa fourrure, des oreilles plus triangulaires surmontées d'une touffe de poils noirs et de grands yeux bienveillants trahissent une autre origine. Incapable d’identifier l’espèce exacte, Jovany reconnaît cependant qu’une sensualité et un charme rare émanent la nouvelle venue.

- J'ai néanmoins ouï dire que tu t'étais bien sorti de ton entretien avec Anemara et Skall. C'est un grand soulagement pour moi.

Les inquisiteurs ? Comment peut-elle être au courant ? Ils devaient faire un rapport de l’entrevue à quelqu’un, serait-elle leur supérieure ? Elle n’a pourtant pas le look ou l’attitude d’un militaire. Skall et Anemara se sont adressés à lui de façon très formelle, voir même protocolaire. Rien avoir avec sa manière à elle de s’exprimer.  Elle se tourne vers la petite ruelle par laquelle elle est probablement arrivée. De plus en plus d’incertitudes se bousculent dans l’esprit du garçon.

- Vois-tu, c'est à moi qu'incombe la tâche d'assurer le ravitaillement de Saesru, ainsi, j'ai pu discuter avec les marchands qui t'ont accompagné. Skall m'a soufflé qu'il y a certains secrets qui devaient le rester, alors je me suis assuré que tes compagnons de voyage resteraient silencieux à ce sujet. Mais, voudrais-tu bien m'en dire davantage en marchant ? Je connais un endroit calme pour discuter.

Jovany recul. Les battements de son cœur accélèrent. L’allée étroite et déserte a tout d’un coupe-gorge. Si la change forme s’avère être un assassin à la solde de Brahm, la suivre reviendrait à offrir son torse et y accueillir ne dague en plein cœur bien à l’abris des regards indiscrets.  Sa dépouille découverte, la meurtrière se sera volatilisée depuis longtemps.

Non, il faut se calmer, réfléchir analyser les données. Une sbire de Brahm n’aurait pas pu connaître les détails de son entrevue avec Skall et Anemara. De plus son identité percée à jour pour quelle raison se présenter à lui ainsi en public ? Pourquoi prendre le risque qu’il donne l’alerte au lieu de le suivre et attendre le bon moment pour frapper. Ça n’a pas de sens. Alors la change forme souhaite véritablement l’aider ? Elle a réellement intercepté la caravane pour les empêcher d’ébruiter l’origine des chapeaux ? Jovany déglutit, sa tension ralentit. La jeune femme lui tend son bras.

- J'aimerais te faire part d'une proposition, si tu y es disposé. Dit-elle en l’invitant à marcher à ses côtés.

- Je vous suis. Décide-t-il enfin en choisissant tout de même de conserver une certaine distance.

Ils empruntent la ruelle, puis une autre, et encore une. Ils zigzaguent dans un dédale de passages étroits, tournent à un dernier embranchement et s’arrêtent devant une porte dont la peinture turquoise est écaillée.  Sur un panneau est gravé les mots « Teteria de Sherazade. ». L’endroit est incongru pour ouvrir un salon de thé. Ce dernier doit être lugubre et mal famé pour se trouver aussi loin des grandes avenues commerçantes. Il doit être remplis d’individus peu recommandables songe Jovany. Il y entre avec appréhension mais se rend compte immédiatement à quel point les apparences étaient trompeuses et ses préjugés erronés. Dès que Jovany met un pied à l’intérieur, il est frappé par la puissante odeur d’encens et de fruits séchés. La pièce est plutôt sombre car il n’y a pas de lumière extérieure. De lampes en fer forgé fixé accrochés aux murs, ou posé sur le mobilier en acajou, avec des verres colorés incrustés créer un éclairage tamisé. Le salon de thé est ainsi plongé dans une ambiance mystique et chaleureuse.  Des épais rideaux en velours pourpres, suspendus un peu partout, créer une multitude d’alvéoles douillettes équipées de tables basses, poufs en cuir et sedaris recouvrèrent de coussins ou il est possible de s’installer en toute intimité.

Le propriétaire, un homme bedonnant d’une cinquantaine d’année, jusqu’à présent assoupi, ce qui se comprend car jusqu’à présent il n’y avait pas un chat, (Ce talent pour les jeux de mots nuls) s’efforce de se réveiller pour accueillir ces deux clients. Il reconnait immédiatement la change forme. D’un geste de main il indique un coin tranquille ou les deux nouveaux arrivant peuvent aller s’asseoir. Il quitte ensuite son comptoir pour disparaitre par une ouverture dissimulée derrière rideaux de perles.

Une fois seul et confortablement assis Jovany se lance dans le récit de son évasion comme Scuma l’avait demandé. Il raconte comment sa magie lui a été essentiel pour s’échapper. Comment l’incendie avait ravagé toute une partie de la demeure de Brahm. La raison pour laquelle le marchant allait certainement se venger et enfin pourquoi il craignait d’utiliser son pouvoir et de se faire repérer par la même occasion.

Son histoire s’achève accompagné d’un bruissement de perles. C’est le propriétaire qui arrive, un grand plateau à la main. Il le dépose sur la table basse saisi une superbe théière en laiton et remplis leurs deux verres d’un liquide fumant délicieusement odorant. Sa mission accompli il retourne à son poste ou il ne tarde pas une nouvelle fois à piquer du nez. L’infusion au mille et une herbes à un goût à la fois poivré et sucré. Une chose est sure, Jovany n’a jamais rien bu de comparable. Le breuvage ambre coule dans sa gorge et réchauffe son cœur. Apaisé, il repose son verre. La change forme avait évoqué une proposition un peu plus tôt. Le moment était venu d’en apprendre davantage.

Sa magie. Une fois encore elle va influencer le destin de notre héro. Elle semble être une malédiction et une bénédiction à la fois. Trop insignifiante en combat pour sauver son village. Assez Lucrative pour attiser la cupidité d’un marchand et le condamner à l’esclavage. Mais heureusement, sous-estimée pour lui permettre de s’évader. Salutaire dans le désert, lui sauvant la vie de diverses façons. A présent elle devient effrayante car trop reconnaissable. Elle peut conduire les sbires de Brahm jusqu’à lui. Jovany craint de s’en servir et c’exactement ce que lui demande Scuma. Saersu lui octroie l’asile uniquement pour profiter à son tour du potentiel commercial que le garçon représente ? La cité n’est donc qu’une cage un peu plus vaste dans laquelle il s’est réfugié lui-même ?

Jovany tente de rester impassible en écoutant la change forme mais il a de plus en plus de mal à maitriser sa respiration. Il sent en lui monter un sentiment de claustrophobie. La teteria qu’il a jusque-là trouvé douillette et chaleureuse lui semble de plus en plus exiguë et oppressante. La lynx a beau lui dire avec bienveillance qu’il n’y a aucune obligation et que le garçon à tout son temps pour répondre ses mots n’atteignent plus ses oreilles. Toute sa concentration est portée sur le refoulement de la sensation de manquer d’aire.


Il n’avait plus fait de crise depuis Ahriman, c’est pourquoi elle le prenait de court. Il a pourtant pris des résolutions, ne plus être victime, ne penser qu’a lui et tirer avantage des situations. Jovany inspire. Il est en sécurité dans cette ville. Il expire. Il a des objectifs : acquérir force, connaissance et argent. Jovany inspire. Scuma a écouté son histoire, elle a certainement entendu celles de beaucoup d’autres réfugié. Elle doit savoir mieux que n’importe qui les deux choix possibles après de telles épreuve. Continuer de vivre dans la crainte ou se relever et faire face. Le souffle du jeune homme est de nouveau régulier, il ne s’est pas laissé submerger.

- Je souhaite d’abord que tu découvres la ville et ce qu’elle a à offrir. Que tu découvres l’unité dont sont capables les Saesrien. Je peux t'aiguiller vers quelques personnes à rencontrer. Si tu as des préférences ? Je pense que c'est pour toi la meilleure façon de prendre une décision quant à ma proposition.

- Je… Jovany s’éclaircie la gorge. Je dois être honnête. Je vous suis reconnaissant de m’accueillir mais je ne me suis pas encore débarrassé de ma peur. J’aimerai vous aider mais il me faut un peu de temps pour me sentir vraiment en sécurité.

Inutile de chercher à mentir, Jovany pressent qu’il a autant de chance de duper la change forme qu’Anémara avec sa magie du sang. L’œil de lynx de la… Lynx le remarquerait immédiatement.

- Mais je veux que ça change. Je ne veux plus vivre dans l’angoisse et cette peur est dû à l’inconnu et l’impuissance. Vous avez raison. Connaître d’avantage Saersu ainsi que les dangers de ses environs pourrait balayer une partie de mes craintes. Peut-être qu’une visite de cet immense bâtiment au centre de la ville, avec sa vue panoramique est un bon point de départ ?

En effet ce grand dôme avait tout de suite attiré son attention. Aillant grandit dans un minuscule village avant d’être enfermé dans une cave. Jo n’a jamais eu l’occasion d’étudier l’organisation d’une citée, ni les rôles de ses différents acteurs. Il est pourtant persuadé d’une chose, les plus importants se trouvent là-bas. Il lui faut ses connaissances pour aller mieux certes mais également trouver contre quoi négocier son aide.  

- Chaque lieu à Saesru a son histoire. Nous venons tous d’horizons très lointains. Découvre la couleur de notre ville.

"Nous venons tous d'horizons très lointains." Il ne peut donc s’empêcher de se comparer à la change forme, la différence de niveau avec elle lui parait astronomique. Comment en est-elle arrivé là ? La curiosité le pousse à demander.

- Hum… J’espère que ça ne va pas paraître déplacé. En particulier après tout ce que vous faites pour moi mais… J’aimerai bien connaître votre histoire également. Comment êtes-vous devenue aussi assurée ?