[Initiation Mahal] Une rivalité vieille comme le monde

C'était une journée parfaite.
Un beau temps. Ni trop venteux. Ni trop chaud. tout juste ensoleillé comme il faut, assez pour un bain de soleil matinal revigorant.
Lors de sa toilette, Mahal avait finalement réussi à se débarrasser de ce nœud qui le gênait à la queue depuis plusieurs jours. Il avait fait le tour de son territoire dans la ville. Aucun problème. Aucune intrusion malvenue.
Absolument parfait.
Il s'était vu offrir un morceau d'abat de viande de la part d'une connaissance - il l'avait aidé en organisant une chasse aux rats dans son magasin en allant chercher des renforts chez les autres chats de gouttières - puis une demie-tasse de café chez son amie libraire.
La journée était irrévocablement parfaite.
Le chat noir avait poursuivi sa route jusqu'à l'école de magie, queue et tête haute.
Son objectif de la journée se résumait en trois mots : Bibliothèque. Nouveaux. Ouvrages.
Il traversa les couloirs avec une petite musique dans la tête, rêvant déjà à ce qu'il allait bien pouvoir découvrir, ignorant les étudiants autour de lui.

Ses oreilles tiquèrent soudain.
Des cris lointains derrière lui, déformés par la distance et les échos crées par les sols carrelés et les plafonds hauts.
Rien de grave, sans aucun doute.
Puis, les bruits se rapprochèrent, évoquant peu à peu ceux d'une cavalcade folle dans l'école, d'un troupeau de bêtes enragées qui fonçaient en menaçant de tout écraser sur leur passage !
Mahal s'arrêta net. Tourna la tête pour regarder derrière lui.
Il avait comme un doute tout à coup.
Il était seul dans le couloir. Aucune porte ouverte ni à droite ni à gauche. Pas de fenêtres pour s'abriter en hauteur.

La silhouette surgit à l'angle, galopant à quatre pattes autant qu'elle courait sur deux jambes bipèdes.
Le regard du chat noir croisa celui de la nouvelle-venue - étais-ce vraiment des oreilles de chhh... ?
- Matouuuuuuuuuuuuuuuu !
Le cri lui vrilla les tympans.
C'était une journée parfaite. Jusque-là.
Déjà Mahal sentait les poils de son dos se dresser, ses muscles se tendre pour faire arquer son corps et le faire paraître plus gros, ses instincts reprenant le dessus tandis que son coeur accélérait sous ce regard surexcité qu'il voyait poser sur lui.
Il ne savait pas qui c'était, mais il aurait su reconnaître cet air de complète stupidité débridée n'importe où : un cabot devant un nouveau jouet !

Sans réfléchir à ce qu'elle lui réservait vraiment si elle l'attrapait, Mahal se détourna d'elle et partit dans le couloir à toute berzingue !
Il avait autre chose à faire de sa journée que servir de jouet à un cabot, nom d'une boule de poils !
Ses coussinets dérapaient sur le marbre et chaque virage devenait une aventure risquée en elle-même mais sa survie en dépendait sûrement - ou au moins sa fierté ! - alors il faisait tout pour la distancer, galopant ventre à terre et sans prendre la peine de se retourner. son regard passait de droite à gauche avec fébrilité, cherchant une porte ouverte, une fenêtre, n'importe quoi pour semer sa poursuivante !
Une journée parfaite, ça oui !

Mahal entendit un bruit de chute au sortir d'un virage, suivi d'un jappement. Il ne ralentit pas pour autant, ni ne se retourna pour voir où en était cette chienne folle, mais il sentit une pointe de satisfaction en imaginant qu'elle avait eu quelques soucis !
Manquer de compassion ? Lui ? Seulement quand on voulait lui sauter dessus sans raisons !
Le chat noir entendit bien vite de nouveau sa poursuivante dans son dos, alors que sa cavalcade l'amenait dans un coin moins fréquenté de l'école.
Et toujours pas de portes ouvertes ou de fenêtres accessibles avec ça ! Fichue manie des professeurs que de fermer les salles de classe ! Ils ne pensaient pas au pauvre chat qui avait besoin de se planquer ?
Il commençait à fatiguer, à courir comme ça sur ce sol trop dur et glissant ; il était un chat, un prédateur à l'affut, adapté aux pointes de vitesse sur de courtes distances. Certainement pas un marathonien !

L'amphithéâtre fut bientôt en vue. La porte ouverte fit hésiter Mahal un instant mais il secoua vite la tête : c'était une salle sans issue, y entrer le piégerait à l'intérieur.
Une paire de jambes sortit dans le couloir au moment où il arrivait au niveau de la porte, et le chat sprinteur dut faire une embardée pour éviter l'impact. Il poursuivit sa route, sans se soucier davantage de ce convoi autour d'une caisse au contenu mystérieux.
Blam ! Braom ! Crac ! Scri ! Scri ! Scri !
Hurlements effrayés derrière lui. Cris de ralliement d'un professeur. Pépiements suraigus d'une multitude. Cavalcade de bipèdes.
C'était le chaos tout à coup.

Malgré lui, Mahal ralentit son allure et jeta un oeil en arrière.
Oui, c'était vraiment le chaos.
Le groupe qui était sorti de l'amphithéâtre gesticulait en tous sens autour des restes de la caisse qui reposait ouverte au sol. Les bipèdes dansaient, sautaient et frappaient le carrelage ou tentaient de s'enfuir devant les bestioles qui avaient envahi le couloir, sans doute libérées lorsque la caisse était tombée.
Pour en avoir vu à plusieurs reprises dans des livres, Mahal reconnut les rongeurs endémiques de Sahl : les Mousträger, des grosses souris longilignes et agiles, parasite de magie.
Qui diable avait eu l'idée stupide d'en amener dans une école de magie ?

- Attrapez-les ! Vite ! Avant que ce ne soit le chaos !

Pour le chat, c'était déjà le chaos, mais il était d'accord avec celui qui venait de crier ça : il fallait rattraper les bestioles qui pouvaient infester les lieux aussi sûrement que des puces sur le dos d'un chien errant !
En parlant de chien... il voyait l'autre se relever d'ailleurs. Zut ! Elle l'aperçut !

- Hé, Monsieur Chat ! Tu m'aides à attraper ces bestioles ? Je te revaudrais ça, promis !

Mahal manqua s'étouffer de surprise : quel culot, de lui demander ça ! Alors qu'elle l'avait attaqué sans raisons !
Seulement... elle avait raison : il fallait vraiment attraper les Mousträger avant que ces saletés ne fassent des dégâts chez les étudiants !
Mais il ne le ferait certainement pas parce qu'elle lui avait demandé, ça non ! L'école, c'était chez lui ! Voilà !
Une dizaine de bestioles seulement, la majorité occupée avec les bipèdes autour de la caisse ; les rongeurs parasites devaient être affamés et n'avaient d'yeux que pour un potentiel repas de magie.
Néanmoins, Mahal en vit deux qui se rapprochaient d'une jeune étudiante de son côté du couloir. L'adolescente terrifiée était acculée contre le mur par les rongeurs qui se rapprochaient d'elle.
Ils avaient une manière de se déplacer tout en courbes, avec leur corps longilignes et leur longue queue qui se balançait avec excitation dans leur dos.

Des souris, avec des allures de prédateur...
Quel affront ! Il allait leur montrer ce que c'était, qu'un véritable prédateur !
Mahal fit patte de velours et se précipita dans le dos du Mousträger le plus proche, bondissant sur la bestiole par surprise. Ils étaient certes aussi grands que lui, mais il était bien plus lourd et il prit bien vite le dessus malgré les contorsions de sa proie qui luttait pour lui échapper et tenter de le mordre. Le chat noir frissonna en voyant briller les dents aiguisées du rongeur, avant de planter ses crocs dans la nuque de sa prise.
Le sang chaud lui titilla la langue tandis qu'il serrait la mâchoire puis, dans un geste qui n'était pas très propre, il brisa le cou du rongeur d'une torsion brutale.

Mahal relâcha le corps inerte de sa victime avant de faire face au second Mousträger qui avait bien vu ce qui venait de se passer et lui montrait les dents, le corps enroulé dans une posture tendue comme un ressort, prêt à défendre chèrement sa vie.
Le chat noir feula en montrant ses crocs sanguinolents, puis laissa un miaulement de colère rouler au fond de sa gorge. Il se tenait replié sur lui-même, prêt à bondir à la moindre ouverture... mais il hésitait.
C'était vraiment de sacrées dents, qu'elles avaient ces bestioles ! Et sans l'effet de surprise, il n'était pas certain de la battre de vitesse...

L'arrivée soudaine d'une chaussure lui fournit l'occasion de frapper : l'adolescente acculée venait de retirer son soulier et de le jeter sur la menaçante bestiole !
Le Mousträger bondit en arrière pour éviter le projectile et, pendant la fraction de seconde où les yeux du rongeur lancèrent des éclairs vers celle qu'il avait plus tôt choisi comme victime, Mahal s'élança !
Ses coussinets dérapèrent sur le carrelage.
Sa mâchoire rata de peu la gorge du rongeur. Claqua dans le vide.
Il percuta son adversaire et ils roulèrent au sol, empêtrés l'un avec l'autre.
Aussitôt, une intense douleur frappa Mahal à l'épaule droite, qui couina fort et enchaina les coups de griffes de sa patte libre pour déloger le Mousträger qui venait de s'accrocher à lui en le mordant particulièrement fort !
Dans cette situation de vie ou de mort, le rongeur refusait de battre en retraite, et ce fut seulement un coup de griffe fatal à la gorge qui finit par lui faire lâcher prise.

Sur trois pattes, Mahal s'éloigna un instant des corps de ses deux premiers adversaires.
Nom d'une boule de poils, ça faisait un mal de chien !
La douleur était brûlante au niveau de son épaule, la blessure saignait heureusement peu mais le rongeur avait fait des dégâts aux muscles de son articulation avec ses dents aiguisées comme un rasoir. Sa patte en était toute engourdie et il ne s'imaginait pas du tout la poser au sol pour le moment !
C'était une journée par-faite !

Le chat noir se tourna vers le reste de la bataille pour jauger de la situation, se sachant sûrement hors-jeu pour le moment.
Ouch !

Un calme relatif était retombé dans leur portion du couloir. Ceux qui voulaient fuir étaient loin, le nombre de Mousträger avait été bien réduit grâce aux efforts des deux Change-formes et des étudiants les plus habiles. Aux cris lointains que le chat noir entendait, quelques rongeurs réussissaient à prendre la poudre d'escampette !
Mahal songea qu'il pourrait proposer d'organiser une battue avec les chats de gouttières de la ville pour traquer et éliminer les Mousträger restants ; ça ferait de l'animation pour les félins en leur permettant de découvrir l'école. Et... il pourrait sûrement demander un accès à certaines salles, jusque là interdites, comme paiement de son aide...

Tout à ses réflexions, le chat noir remarqua avec un temps de retard que le Mousträger qui tenait tête au chien était sacrément gros, tout de même !
Le cri du cabot - soudain moins poilu - l'interpelant lui donna une bonne piste de réflexion pour comprendre ce qu'il se passait.
Un changement de taille aussi complet sonnait effectivement comme un sort de Manipulation.
Seulement, étais-ce une erreur de visée et le lanceur avait-il voulu aider la change-forme ? Ou bien étais-ce vraiment une mauvaise blague ?

Mahal tourna ses yeux ambrés vers le groupe d'étudiants qui restait dans le couloir ; cinq ou six élèves, maintenus contre le mur par leur professeur qui faisait barrage entre eux et d'éventuels assaillants. Les bras écartés, l'adulte ressemblait beaucoup à une mère poule protégeant ses poussins.
Lâchant une grimace lorsque son épaule blessée se rappela douloureusement à lui, Mahal parcourut du regard le visage des élèves qui fixaient la Change-forme canine aux prises avec ce rongeur géant. Il recherchait des expressions autres que la surprise ou la peur...
Mais il n'était pas très doué à décoder les expressions des bipèdes : ils n'avaient pas de fourrure qui se dressaient, pas de queue qui se balançaient plus ou moins vite, pas d'oreilles qui pouvaient bouger...

Laissant tomber son inspection pour le moment, le chat noir considéra ses options. Il ne pouvait pas aller rejoindre la Change-forme pour l'aider au combat. Avec sa blessure et la différence de taille actuelle, le Mousträger n'avait rien à craindre de lui, et un coup de ses dents aiguisés pourrait le blesser bien plus gravement.
Autant dire qu'il était moyen chaud, là, comme ça, tout de suite !
Il lui fallait quelque chose pour distraire suffisamment la vilaine bestiole, comme la chaussure lancée par l'adolescente qu'il avait aidée plus tôt...

Mahal se tourna donc vers cette dernière qui s'était accroupie contre le mur et dont les yeux passaient du duel au sommet plus loin dans le couloir aux corps sanguinolents des deux petits Mousträger que le chat noir avait occis.
Le greffier s'approcha sur trois pattes et, fournissant un sacré effort vue sa blessure et la fatigue du combat, mobilisa son pouvoir pour pouvoir demander :

- Hey. Tu vas bien ?

Elle sursauta avant de fixer ses jolis yeux bleus sur lui.
Sans doute une première année, il n'avait pas souvenir l'avoir déjà croisée dans l'école. Après il faisait rarement attention au visage des bipèdes...

- Que...? Oh, c'est toi le chat dont les élèves parlent parfois ?
- Oui... je peux te poser une question personnelle ? C'est quoi ta magie ?
- Euh... Je... je sais faire de l'électricité.
- Ça te dirait de cramer ce gros rat là-bas ?
- Je... Elle sembla hésiter, son regard passant brièvement vers le combat qui faisait rage. Mes sorts sont à courte portée... je ne maitrise rien à distance...

Mahal réfléchit quelques secondes.
C'était vrai que les sortilèges élémentaires étaient souvent volatiles, et la foudre tout particulièrement, l'élément ayant tendance à vouloir se raccrocher à tout et n'importe quoi pour retourner à la terre le plus vite possible. Mais il avait lu beaucoup de livres sur le sujet, et des techniques avaient été mises au point pour pallier à ce problème.
Au pire, l'étudiante toucherait un de ses petits camarades, ou le chien.
C'était un risque qu'ils pouvaient bien prendre.

- Je peux te guider. Fais-moi confiance, ta magie peut vraiment sauver la situation, tu sais !
- D'accord alors !

Elle était courageuse, la petite.
Un bon point pour elle.

- Je peux monter sur ton épaule ? Comme ça tu auras les mains libres et je pourrai te guider à la voix...

L'adolescente se redressa et vint le saisir - Mahal lâchant un couinement de douleur avec sa blessure - puis elle l'installa sur son épaule. Le chat s'allongea en porte-à-faux du mieux qu'il put et commença son cours express sur les méthodes de canalisation de la foudre pour les sortilèges à longue portée.
Il parlait à voix basse, tandis que l'étudiante se plaçait au milieu du couloir, faisant face au Mousträger bouffi par magie et au Change-forme canin qui se battaient toujours en s'éloignant peu à peu.
Mahal la guida sur la manière de se tenir, de respirer, de concentrer la magie dans ses mains, la posture à prendre pour viser correctement. Puis, sur la visualisation de ce qu'elle devait obtenir, sur ce fil tendu entre elle et sa cible qui forcerait l'énergie foudroyante dans une direction précise.
Le chat noir se fatiguait beaucoup à parler autant, mais il persévérait, jouant sur un rythme de paroles et des répétitions de consignes pour aider l'adolescente à ne pas se laisser distraire.
L'air autour d'eux se chargeait en électricité statique, sa fourrure se dressant d'elle-même sur son corps, picotant de plus en plus fort.

Finalement, l'adolescente visa avec les doigts le Mousträger tournoyant avec la Change-forme dans leur ballet mortel et relâcha son sortilège !
Dans un craquement aigüe semblable au claquement d'un fouet et un flash blanc aveuglant, un éclair traversa le couloir pour aller frapper...
Mahal clignait des yeux, et ne vit donc pas quoi.

Une fois l'image rémanente de l'éclair passée, Mahal nota que le sortilège avait bel et bien fonctionné... mais avait percuté de plein fouet la Change-forme qui, tout en reprenant sa forme originelle et en poussant un long gémissement, s'écroulait au sol.
Ah.
Il n'avait pas particulièrement d'atomes crochus avec ce chien, mais ce n'était pas l'issue qu'il avait espéré...
L'adolescente dont il squattait l'épaule semblait partagée entre sa joie d'avoir réussie à lancer son sort, et la honte d'avoir touchée la mauvaise cible.

- Oups...
- Oui... oups. Tu en as un deuxième comme ça en magasin ? Rapidement ?

Mahal voyait le Mousträger se désintéresser de la Change-forme pour les regarder avec des envies de meurtre bien visible malgré la distance et ces affreux yeux marrons globuleux !
La vilaine bestiole poussa un hurlement et se précipita vers eux. A la vitesse où elle fonçait, Mahal comprit que jamais il n'y aurait le temps pour la jeune étudiante de mobiliser sa magie !
Le cri du professeur, suivi de l'amorce de mouvement de la part de plusieurs élèves vers l'adolescente en danger fit se décider Mahal :

- Laisse tomber, lance-moi et fonce t'abriter avec ton prof !
- Quoi ?
- Pas le temps ! Lance-moi sur cette saleté ! Je vais la retenir ! Allez !

C'était de la non-réflexion son idée, surgie dans la panique de l'instant. Lui qui d'ordinaire ne faisait pas grand cas des bipèdes ou de leur sécurité s'offrait comme appât pour lui donner une chance de s'en sortir ! Il ne se reconnaissait plus !
Trop tard pour faire machine arrière de toute façon ; l'adolescente se saisit de lui et dans un mouvement qui évoquait le lancer de sac, l'envoya dans les airs, droit sur le Mousträger !
Enfin, pas tout à fait droit. Carrément trop loin !
Battant des pattes et de la queue pour pouvoir retomber sur ses pattes, Mahal vit l'action se dérouler presque au ralenti : le rongeur qui marquait un court instant d'arrêt, surpris presque autant que lui devant ce chat volant dans sa direction ; puis l'air quasi-moqueur chez la vilaine bestiole en voyant leur trajectoire qui ne provoquerait pas de contacts ; l'adolescente qui commençait à courir vers les bras tendus de ses camarades ; le Mousträger qui repartait de plus belle vers sa proie facile, détentrice de la magie qui le tentait tellement.

Mahal manqua s'étouffer de colère et de vexation ! Un rongeur venait de le snober ! Lui !
Il ne se laisserait pas ignorer !
D'un brusque coup de reins et usant de toute son agilité féline, il se retourna dans les airs alors même qu'il dépassait le Mousträger. A l'instant où ses pattes arrières touchèrent le sol, il mobilisa toute la force de ses muscles pour rebondir aussitôt vers l'avant. Direction : le dos de la bestiole !
Nom d'une boule de poils, il était vraiment gros ce saligaud !
Le chat noir atterrit au niveau des reins du Mousträger, et planta aussitôt ses crocs et ses griffes dans la chair de son ennemi ! Son cri de douleur se mêla à celui du rongeur lorsqu'il mobilisa son épaule blessée mais il tint bon !
Mahal mâchonna la masse de peau couverte de fourrure sur le dos du Mousträger, cherchant à atteindre avec un peu de chances un nerf ou mieux, une artère. Avec la différence de taille, il avait plus l'impression de se remplir la gueule de poils !

Son attaque soudaine avait au moins eu l'effet escompté : le Mousträger avait pour le moment complètement oublié l'étudiante qui venait d'être saisie par ses camarades pour être ramenée de force avec les autres.
Le professeur acheva son bouclier, qui forma une barrière de lumière miroitante sur leur portion de couloir, les protégeant de toute attaque. Peut-être, le chat noir n'était pas sûr des capacités de cet homme.
Sa monture rua et se contorsionna pour tenter de le mordre, lui faisant revenir au sujet plus pressant, à savoir sa propre survie !
Il avait un peu de chance : malgré sa souplesse, le rongeur n'arrivait pas à l'atteindre, pas sans risquer de s'ouvrir la chair et les muscles retenus par les griffes et les crocs du chat en tout cas.

Le cerveau de Mahal carburait au milieu des efforts qu'il devait fournir pour rester accroché ainsi. Et maintenant ? Il ne tiendrait pas éternellement, son épaule lui faisait trop mal pour ça. Sa seule chance était une intervention extérieure, ou un coup de crocs particulièrement chanceux qui toucherait un point vital...
Le Mousträger ne lui laissa pas le temps de chercher où planter ses dents ; il bondit sur le côté et se jeta dos en premier contre le mur, aplatissant Mahal contre la maçonnerie !

Le chat noir lâcha aussitôt prise et produisit un son très étrange au moment où tout l'air quitta ses poumons, à mi-chemin entre le cri de surprise et le sifflement d'une théière.
Le Mousträger se retira et Mahal resta une seconde de plus collé au mur, les membres en étoile, avant de glisser au sol.
Il se sentait déjà sombrer dans l'inconscience à mesure qu'il terminait par terre. La dernière chose qu'il vit fut l'expression légèrement circonspecte des élèves recroquevillés derrière leur bouclier magique.

C'était sans doute son imagination, mais Mahal crut aussi entendre des bruits de pas dans le couloir.
Puis, ce fut le noir.

Mahal sentit qu'on le caressait dans le dos. Qu'il était posé sur quelque chose de doux, de soyeux même. Son épaule ne lui faisait plus mal, même si une raideur dans tous ses muscles lui indiquait l'arrivée prochaine de courbatures.
Il revint doucement à lui, ouvrit les yeux, découvrant l'infirmerie, l'élève emmailloté sur un lit - le responsable du Mousträger géant ? - la Change-forme cabot inconsciente sur un autre, une femme portant les atours des soigneurs à ses côtés.
Il était posé sur les genoux d'une femme aux allures de poupée de cire avec sa cascade de cheveux noirs incroyablement bouclés, les pointes virant au roux, ses yeux en amande et son teint halé impeccable, ses lèvres charnues et ses sourcils taillés à la serpe, sa robe à corset lui donnant une taille extrêmement fine contrastant avec les épaules et la traine bouffante, le tissu blanc à la couleur irisée...

Elle l'observait et, dès qu'il leva les yeux pour la découvrir, elle réagit au quart de tour :

- Bonjour, Mahal, ravie de voir que tu te réveilles enfin ! Je suis Gunhild Baldur, la directrice de cet établissement. Nous n'avons jamais eu l'occasion de discuter, mais il y a une première fois à tout. Et si tu me racontais exactement tout ce que tu sais de l'accident ?

Il l'avait reconnue sans qu'elle ait besoin de se présenter.
Même si cela faisait plusieurs années qu'il trainait ses coussinets dans l'école, il n'avait toujours fait que l'apercevoir de loin. Mahal devait se l'avouer ; il avait soigneusement évité d'attirer son attention, conscient qu'elle était une des personnes de l'école assez influentes et ayant suffisamment de moyens pour pouvoir lui interdire définitivement l'accès aux lieux si jamais l'envie lui en prenait.
Soit dit en passant, éviter de la croiser n'aurait sûrement rien changé pour lui si la Directrice avait voulu le mettre dehors, mais il avait compté sur l'adage "loin des yeux, loin du coeur."
C'était trop tard pour continuer à vouloir passer inaperçu maintenant.

Mahal n'était pas idiot ; s'ils étaient là, à l'infirmerie, cela voulait dire que le risque Mousträger avait été écarté. Étais-ce la Directrice elle-même qui était intervenue ?
Le chat noir l'ignorait.
Même si la main qui passait distraitement dans son pelage était une sensation agréable, il ne pouvait s'empêcher d'être un peu inquiet, conscient qu'il était en train de passer un interrogatoire en règle.
Il se sentait tout à fait innocent dans la suite d'événements qui avait amené à la libération des Mousträgers mais, sa méfiance naturelle envers les bipèdes revenant au galop et sentant que les mots qui allaient sortir de sa bouche décideraient sûrement de son avenir dans l'école, il avait une voix un peu hésitante lorsqu'il mobilisa son pouvoir pour répondre à la Directrice :

- Bonjour à vous, madame la Directrice.

Il baissa la tête et promena son regard dans la pièce, commençant ses explications sans la regarder :

- J'étais en route vers la Bibliothèque lorsque la Change-forme chien a surgie dans les couloirs pour me courir après. Comme je ne la connais pas, je me suis enfui. Au niveau de l'amphithéâtre, elle a percuté ceux qui sortaient avec la caisse des Mousträgers. Les bestioles sont aussitôt sorties et menaçaient tous les étudiants présents. La Change-forme m'a tout de suite demandé de l'aide pour s'occuper des parasites avant de les attaquer.
J'ai aidé à mon tour. Pas parce qu'elle me l'avait demandé, je l'avoue, mais parce que je savais ce que ces créatures font. C'est mon territoire, l'école, et pas d'école si les étudiants perdent leur magie à cause d'une infestation de Mousträgers.
Bref, à nous deux, on en a éliminé cinq ou six. J'ai été blessé à l'épaule, et l'un des rongeurs a subitement triplé de volume.
Avec ma blessure, j'ai préféré demander de l'aide à une étudiante qui était là. Par chance, elle était volontaire, et son pouvoir de foudre était capable d'aider la situation. Je l'ai juste un peu guidée pour adapter sa magie. Mais c'est la Change-forme qui a été touchée. Le Mousträger géant nous fonçait dessus, j'ai fait de mon mieux pour distraire la bestiole et j'ai fini dans le mur.
Après, je sais pas. Nous voilà là.

Mahal reprit son souffle, la gorge douloureuse à force d'user de son pouvoir et d'autant parler. Il leva finalement les yeux vers la Directrice pour demander très sérieusement :

- Est-ce que tout les Mousträgers ont été arrêtés ? Il n'y a pas eu de blessés ? Et la jeune fille aux yeux bleus, celle qui contrôle la foudre, elle va bien ?