Les prémices d'une nouvelle ère [& Ada - Pnjs technologues]

Alice fut réveillée par un tremblement s'attaquant à toute la tour. Des livres tombèrent des étagères et des vis et outils s'évadèrent de leurs tiroirs dans un joyeux capharnaüm qui acheva de réveiller la technologue. Celle-ci crut d'abord que la tour était attaquée, même si cela semblait invraisemblable, et fit la chose la moins sensée à faire dans ce genre de cas. Se jetant vers la fenêtre, elle lança un regard circulaire sans rien apercevoir à l'extérieur. Il n'y avait ni fumée, ni flammes, ni armes étranges ou canons géants fumants. Et bien quoi ? Si l'esprit d'Alice pouvait imaginer ce genre d'arme ce n'était surement pas le seul !

Un vent glacial se glissa sous sa porte depuis le vestibule, et attrapant une blouse longue puisqu'elle s'était endormie en combinaison sur son bureau, elle quitta son bureau, les cheveux en pétard. Saluant les lettres d'or d'un signe dédaigneux du menton tout en pénétrant le couloir qui reliait tous les offices entre eux, Alice constata rapidement qu'elle n'avait pas été la seule à s'être fait surprendre. Des assistants courraient d'une pièce à une autre, s'arrêtant parfois dans une réserve pour en sortir bien chargés. Des technologues hurlaient des ordres en faisant de grands mouvements, paniqués ou rouge de colère. L'un d'eux était même trempé !

Elle se serait bien glissée discrètement dans leurs bureaux en profitant de la panique pour observer leurs travaux, curieuse qu'elle était, mais cela ne se faisait pas et elle risquait de compromettre sa place. De plus, ses récents voyages lui avaient donné pas mal d'idées qu'elle devait juste prendre le temps de trier afin de les exploiter au mieux. Elle était rentrée quelques jours plus tôt de Mû où elle était retournée après l'événement bien connu de la chasse aux œufs pour vérifier quelques détails. Sa visite dans la bulle mémoire d'Aequorea lui en avait appris beaucoup sur le passé des Müses, du moins sur la partie visible du public, et ses pérégrinations dans les terres gelées d'Himabaha lui avait appris que la survie était primordiale dans des terres moins accueillantes... Ce n'était pas le moment de penser à ça !

Elle quitta l'étage pour se rendre quelques niveaux plus bas, au réfectoire, où les cris se mêlaient à l'inquiétude générale concernant ce brusque tremblement sorti de nul part. Non pas qu'ils ne soient pas habitués à subir les expériences ratées des uns et des autres, mais ce n'était pas la même échelle dans le cas présent. Tous ce monde la fit frissonner de dégout, la blanche refusait catégoriquement de se mêler à cette foule désorganisée. C'est à ce moment d'ailleurs qu'elle remarqua l'absence de la cristallisation. Bizarre, celle-ci aimait pourtant se manifester à la moindre occasion... Peut-être n'était elle pas assez réveillée pour lui permettre de prendre forme ?

Une femme entra soudain dans la salle en frappant sur un couvercle de marmite en ferraille avec une spatule. Elle portait une longue blouse parfaitement immacule, comme beaucoup de ses semblables, d'où dépassaient blocs-notes et outils pêle-mêle. Contrairement à beaucoup des scientifiques présents, elle était calme, trop calme pour ne pas en savoir plus. L'attention d'Alice se focalisa sur cette intrigante personne immédiatement. Elle attendit que le silence se fasse dans la grande pièce avant de se racler la gorge, de remonter ses petites lunettes pince-nez et de prendre une grande inspiration sentencieuse :

- Suite à l'évènement qui nous a tous sorti de nos lits, certains Technologues chercheurs ont été convoqués par l'Archimage Veterini et doivent se rendre dans son bureau accompagnés de leur équipe au plus vite : Leonardo Passerini, Meliane Delacour, Samuel Neroit, Adamarys Cirink ainsi qu'Alice Artheas.

Alice se plaça derrière la femme qui l'avait mentionnée, sans trop se coller aux autres pour autant. Elle tirait sur ses gants nerveusement. Jamais elle n'avait été convoquée ainsi et elle espérait que ce soit pour une bonne raison plutôt qu'un blâme. Ils furent bientôt à l'étroit dans l'ascenseur, la blanche faisant tout son possible pour ne pas froncer le nez de mécontentement. Ha ! Elle détestait vraiment se trouver en collé-serré avec d'autres personnes. Heureusement, aucun des technologues présents ne souhaitait discuter, sans quoi elle l'aurait sûrement fusillé du regard sans prendre la peine de répondre.

Son agacement à l'idée de devoir partager un potentiel succès avec Passerini ne la mettait pas dans de bonnes dispositions, bien au contraire. Elle le haïssait presque autant qu'elle idolâtrait ses créations. Pour ce qui était des autres, elle devait bien avoir croisé la jeune femme aux cheveux sombres quelques fois, idem pour Meliane avec qui elle avait déjà travaillé sur le tram de la Technopôle bien qu'elles se soient plutôt côtoyées de loin. En revanche, ce Samuel Neroit ne lui disait absolument rien. Avait-il été promu récemment ? Il semblait bien jeune. La demoiselle savait, pour autant, qu'il ne fallait pas le sous-estimer d'après cette seule caractéristique.  

Enfin, l'ascenseur s'immobilisa en tremblant au sommet de la tour, dévoilant un bureau qu'ils rêvaient tous d'occuper un jour et elle se focalisa sur l'Homme qui se trouvait là. Veterini les attendait, debout au milieu de l'espace, très propre sur lui dans sa blouse immaculée. Il était si calme en comparaison du chaos qui régnait dans la tour que c'en était effrayant. Il les accueillit avec un sourire de façade qui n'atteignait pas ses yeux. Alice détestait ça, mais elle aurait encore moins aimé être à la place de Meliane qui brillait par son absence.

La technologue de rang supérieur qui les avait amené fut congédiée et l'Archimage entama ses explications dès qu'elle fut partie. Le premier point abordé fut la discrétion nécessaire à la mission qui allait leur être confiée et la blanche hocha la tête vigoureusement en soufflant fermement :

- Cela va de soi, vous pouvez compter sur notre silence.

Elle avait répondu pour l'ensemble du groupe, sans se mettre en avant pour autant. Il semblait de toute façon peu probable que quelqu'un refuse et le fasse savoir, autant gagner du temps. Veterini parut satisfait et reprit en leur montrant un fragment de pierre translucide rougeâtre :

- Nous avons mis au jour plusieurs gisements de cette pierre. Jusqu'ici nous ne pensions pas qu'elle avait un quelconque intérêt pour nos recherches. Toutefois, nous avons récemment découvert par accident qu'elle pouvait être chargée en magie une fois réduite en poudre. Cependant, la première équipe chargée du projet n'a pas réussi à réitérer l'exploit dans nos laboratoires. C'est donc à vous que sera confiée la tâche primordiale de réussir là où ils ont échoué.

Il s'appuya sur son bureau et attrapa un dossier scellé par un cachet de confidentialité et le tendit devant lui en attendant que quelqu'un s'en saisisse tout en poursuivant le plus sérieusement du monde, pas l'air inquiet de la situation qu'il dévoilait :

- À l'heure actuelle, les mages liés à Groumägâara ont perdu toutes leurs capacités. Nos ennemis seraient trop heureux s'ils le découvraient, d'où l'importance de maintenir la situation actuelle secrète le plus longtemps possible. Le timing ne pourrait pas être pire après la récente découverte des ambitions de nos voisins. Ce projet est de ce fait d'une importance capitale puisqu'il pourrait nous permettre de retrouver la capacité de nous défendre, voir même, de gagner en puissance et de les repousser définitivement.

Le fameux Samuel se saisit de l'épais porte-documents et Veterini hocha la tête tout en continuant :

- Tout ce que le premier groupe à découvert se trouve dans ce dossier, vous travaillerez dans mon laboratoire privé afin de bénéficier des meilleurs équipements, et ce, sous ma surveillance. J'ai malheureusement trop à faire pour participer activement à cette avancée, mais je compte sur votre capacité à travailler de concert pour percer le secret de cette roche dans les plus brefs délais. L'avenir de la Technopôle en dépend. Ne me décevez pas.

Alice frissonna à ces mots. Qu'était-il arrivé à ces technologues, d'ailleurs ? Pourquoi ne venaient ils pas leur présenter leurs avancées eux-mêmes ? Ce serait plus rapide que de farfouiller dans des liasses de feuillets couverts d'informations en tout genre à trier et annoter. Maintenant qu'elle comprenait pourquoi ses Cristallisations ne se manifestaient pas, la technologue se sentait presque nue de se savoir incapable d'utiliser sa magie. Cette dernière n'avait jamais été d'une grande aide, mais elle demeurait disponible... C'était ainsi, elle ne pouvait rien y faire. Autant se concentrer sur sa nouvelle tache. Veterini désignait une paroi vitrée et sa porte donnant dans un immense laboratoire aux installations à la pointe de la technologie et elle s'y dirigea sans tarder.

Alice serra le poing quand Leonardo s'auto-nomma chef du groupe. Elle ne digérait toujours pas, malgré les années qui passaient. Sans Colère pour extérioriser ses sentiments, elle peinait à la contenir. Pour masquer son trouble, elle attrapa quelques feuillets dès que Samuel eut défait l'attache du dossier et qu'ils furent passés dans les mains du Haut-Technologue. Effectivement, beaucoup de mots, parfois même de phrases complètes voir des paragraphes, avaient été ratifiés de sorte à ce que l'on ne puisse plus les lire. C'était stupide. Pourquoi Veterini les priverait des résultats obtenus par la précédente équipe ? C'était leur faire perdre du temps inutilement... À moins que ces données ne soient si sensibles qu'il valait mieux ne pas les découvrir. Auquel cas, ils étaient tous, ici, en danger. Soit ils parvenaient à obtenir ce que l'Archimage voulait, soit ils seraient supprimés et leurs découvertes radiées comme celle-ci. C'est en tout cas ce dont Alice était à présent persuadée.

Le cerveau de la blanche fonctionnait à toute vitesse. Placée à la droite de son aîné, elle analysait les expériences qu'elle parvenait à lire, tentant de remplir les trous à l'aide de ses connaissances et de sa propre expérience. La jeune femme aux cheveux de jais proposa une première idée et Samuel souffla, vraisemblablement mal à l'aise avec ses mains dont il ne faisait que croiser et décroiser les doigts :

- L'Archimage Veterini parlait de la réduire en poudre. Peut-être devrait-on se renseigner sur la quantité dont on dispose avant de s'éparpiller...

Alice soupira et rétorqua :

- On n'avancera pas si on n'essaye pas toutes les hypothèses qui nous viennent, surtout en partant de zéro. Vous ne devriez pas brider les idées de vos collègues, mais plutôt proposer les vôtres.

En prenant des mains de Leonardo quelques feuillets, la blanche parvint à retrouver un passage et le tapa de son index après l'avoir placé devant eux.

- S'ils ne sont pas parvenus à stocker de la magie dans la pierre sous sa forme originelle, mais dans une forme réduite, c'est peut-être une question de molécules contenues dans la pierre. Il est peut-être nécessaire qu'elles soient libérées pour que la magie s'y canalise à sa place. Comme une sorte... D'équilibre. Un rendu pour un donné ?

Leonardo la fusilla du regard en lui reprenant les documents et déclara calmement, avec une assurance qui sidérait la technologue :

- S'il ne s'agissait que de cela, nos confrères n'auraient pas échoués. Vos idées sont toutes les deux bonnes, essayez de les expérimenter individuellement, puis de les combiner en les gravant, avant de les réduire en poudre. Il nous faudra de toute façon trouver quelqu'un capable d'y matérialiser sa magie pour vérifier le résultat, je m'en vais nous dégoter une personne utile qui saura rester dans la confidence.

Il se tourna vers Samuel et cracha un peu durement, à la plus grande surprise d'Alice :

- Cessez donc de gigoter ainsi et montrez vous digne du rang qui vous a été accordé. J'espère que vous aurez trouvé une idée quand je reviendrais.

Il s'en fut sans un regard en arrière et la jeune femme soupira, soulagée de ne pas l'avoir sur le dos pour un temps avant d'adresser un sourire de convenance à Adamarys.

- Mettons-nous au travail. Comment comptez-vous procéder pour graver la pierre ? Une trop grosse pression risquerait de la faire éclater, il vaut donc mieux que j'utilise les chutes de vos premiers échecs pour les réduire en poudre, ainsi, nous ne perdrons pas de matière première.