Sale temps pour les blouses blanches [pv Alice]

Alice était épuisée. Elle avait vainement cru que perdre sa magie serait une bénédiction avant de se rendre compte que c'était tout l'inverse... Ses Cristallisations canalisaient ses émotions. Sans elles, la blanche se retrouvait débordée par celles-ci trop facilement. Il devenait alors plus dur de se concentrer. Or, ce n'était vraiment pas le bon moment pour se laisser distraire. La tache confiée par l'Archimage Veterini était d'une importance capitale pour son bien, ses ambitions, et pour la pérennité de la Technopôle. Si elle jouait bien ses cartes, elle avait tout à y gagner.

La soirée de la veille avait été trop longue à son goût, et elle avait oublié de faire ses courses avec tout ça... Elle sortait tout juste d'une réunion interminable sur un projet secondaire qu'elle aurait mieux fait de laisser en plan. Il avait si peu d'attrait en comparaison de ce qui la retenait depuis une semaine au dernier étage de la tour qu'il était ridicule de le mener à terme en parallèle ! Mais ce n'était pas son genre d'abandonner ses travaux... La blanche était bien trop têtue.

Alice était tellement plongée dans ses pensées qu'elle n'avait pas prêté attention à la rumeur qui enflait à mesure qu'elle approchait des grilles Est des Hauts-Quartiers. Quand elle s'en rendit compte, il était trop tard, plusieurs hommes se précipitaient vers elle, le regard plein de haine. Laissant exploser leur rancœur, ils l'agressèrent verbalement, s'approchant trop près, trop vite. Le palpitant prêt à exploser, l'absence de Colère ou de Peur lui coûtait bien plus qu'elle n'était disposée à l'admettre. Levant les bras devant elle pour leur commander d'arrêter, elle siffla sans ciller, acerbe :

- Et voilà les vaillants défenseurs des Bas-Quartiers ! Vous pensez vraiment qu'agresser une Technologues travaillant à vous rendre votre magie est bien intelligent ?

L'un d'eux se mit à rire à gorge déployée avant de cracher :

- Mais c'est qu'on est tombé sur un sacré numéro, dites ! Voilà qu'elle veut nous faire croire qu'ils n'ont rien à voir avec la disparition de la fameuse magie qu'ils se vantent déjà de nous rendre alors que rien n'est fait ! Il approcha son visage à deux centimètres du sien, lui soufflant son haleine fétide au visage. Alors dis-moi, petite Technologue, comment vous allez faire ça ?

La colère avait teint les joues de la blanche d'un écarlate qui progressait sur le reste de sa face à mesure que le misérable crétin parlait. Ah, vraiment, c'était le pompon ! Comme si les Hauts-Technologues, ou même l'Archimage Veterini, étaient assez puissants pour les priver d'un coup, tous, de leurs pouvoirs. Ce que la plèbe pouvait être stupide ! Les mains sur les hanches, Alice fit face à son assaillant et rétorqua froidement :

- Comme si j'allais vous en parler ! Vous ne voulez pas aussi ma place à la tour et l'ensemble de mes recherches ? À priori, si vous êtes ici, et moi là-bas, c'est qu'il y a une bonne raison à ça, vous ne croyez pas ?

Oups, la boulette... Si elle avait voulu les énerver, c'était gagné cette fois. L'un d'entre eux se fit craquer les doigts, un autre sortit un canif de sa veste avant de la déployer, et Alice compris que ça sentait vraiment mauvais. Elle était trop loin des gardes de la porte, qui, de toute façon, étaient bien trop occupés pour lui venir en aide. Un individu louche, borgne qui plus est, approchait du groupe. La Technologue le héla sans retenue, autant pour qu'il ne fasse pas mine qu'il n'avait pas remarquée le problème que pour permettre à ses détracteurs de le voir aussi.

- Hé, vous ! Vous ne voulez pas expliquer à vos copains que j'ai du travail et qu'agresser une Technologue entraîne de graves conséquences ?

Les premiers mots du nouveau venu irritèrent la Technologue. Pour elle, ces gens se ressemblaient en tout point, individualistes et profiteurs, c'est tout ce qu'elle constatait, encore et encore. Toutefois, en se plaçant de la sorte vis à vis des agresseurs, il s'attira par la même occasion leur animosité. À croire qu'il adorait se trouver au centre des regards, un vrai nombriliste ! Ou un suicidaire ? Elle le saurait bientôt. Il savait en tout cas suffisamment manier les mots pour égarer certain de ses assaillants qui commençait clairement à s'interroger sur l'utilité de leur manœuvre. Ah, comme ils lui semblaient pitoyables... Ces gens des Bas-Quartiers ne savaient décidément pas où était leur place.

Le borgne se mit à parler de bienséance, comme s'il n'en transgressait pas les règles à chaque fois qu'il ouvrait la bouche avec son attitude provocatrice et nonchalante. Mais le pire, ce fut quand il commença à aborder la place de la Blanche dans la tour. Elle dut étouffer son orgueil bien que son visage, prenant une teinte écarlate, pût la trahir. Elle serra même les poings si fort que ses ongles, pourtant coupés courts à cause de son travail, lui rentrèrent dans la chair par endroit. La Technologue ne parvenait pas à deviner si c'était là sa réelle opinion ou une manière de décourager les hommes circonspects qui avaient désormais l'air perdus.

L'un d'eux, celui qui se plaçait devant les autres, donc sûrement une sorte de chef, attrapa le borgne par le collet et le souleva légèrement avant de grogner :

- Dis-moi, mon gars, t'es dans quel camp exactement ? Tu crois que tu peux débarquer, nous interrompre, puis nous donner des ordres comme si de rien n'était ? Elle est bien bonne celle-là !

Alice n'en revenait pas de ce qu'elle allait faire. Soupirant, elle attira l'attention de ceux dont elle avait préalablement cherché à se débarrasser en s'interposant. Posant la main sur celle du gaillard, elle expliqua froidement :

- Ce gars est un idiot qui cherche la discorde, ça se voit non ? Qui le voudrait dans son camp ? Ne vous abaissez pas à le frapper, il n'attend que ça.

Comme il avait attiré à lui toute l'animosité, la Blanche en profita pour se détourner et commença à marcher, prenant la direction de l'usine dont elle venait. Elle pensait attendre là-bas que tout ce remue-ménage se calme. C'était sans compter sur l'un des idiots qui se jeta sur elle, l'attrapant par le poignet avant de la tirer en arrière en éructant :

- T'as cru que tu pouvais t'éclipser comme ça, ni vue ni connue ? Tu nous prends vraiment pour des imbéciles de première, hein ?

Que ce fut dur de ne pas répondre par l'affirmative ! Alice ne put se retenir qu'en sachant que cela causerait sa perte. Bon sang, que Colère lui manquait... Il aurait mordu la main de cet odieux personnage sans se préoccuper du reste. Mais... Au fait... Qu'est-ce qui lui empêchait d'en faire autant ? L'idée même la répugnait, mais parfois, il fallait savoir se salir les mains... Prenant une grande inspiration, la Blanche se tourna vers l'ouvrier et mordit sa main de toutes ses forces, jusqu'à ce que le goût de rouille, caractéristique du sang, se propage sur sa langue. Il eut beau se débattre et hurler, elle ne lâcha pas jusqu'à ce qu'elle voie un de ses compagnons s'avancer pour l'aider. Elle le poussa alors sur lui de toutes ses forces et s'écria, victorieuse :

- Il faut effectivement être un sacré imbécile pour poser la main sur un Technologue, qui plus est une dame, sans son accord ! Bon, vous là, vous allez vous bouger les fesses, ou faut que je vienne vous aider aussi ? Lança-t-elle à l'individu qui était venu l'"aider".

En voyant le borgne sortir une lame, Alice hésita un instant. La situation risquait de devenir compliquée s'il agitait ça en vue des gardes, même si ces derniers étaient pour le moment bien occupés. Le groupe d'opportunistes était heureusement en mauvaise posture. Entre celui qui se relevait à peine, encore surpris et l'autre qui se tenait la main entourée d'un mouchoir sanguinolant. Si on excluait le chef, il ne restait donc que celui qui tenait son bras replié contre lui en grimaçant de douleur et que la colère poussait déjà à revenir à la charge. Les mots de son "allié" ne le calmèrent pas, bien au contraire. Même s'ils représentaient bien la réalité, il aurait été peu probable qu'ils soient bien reçus.

Le dernier arrivé était revenu à ses côtés, anticipant sûrement une attaque. Ils furent toutefois sauvés par une annonce qui résonna dans les rues avoisinantes. La technologue reconnut la voix de Veterini et se détendit. Enfin une déclaration publique ! Ils avaient bien besoin de ça pour détendre la populace avant qu'un drame ne se produise... Les bousculades aux grilles cessèrent momentanément dans un brouhaha incompréhensible et les gardes purent enfin souffler. L'appel au calme de l'Archimage semblait faire effet. Pour autant, Alice ne se sentait pas tirée d'affaire, surtout après que le borgne ai jeté de l'huile sur le feu.

- Si ce qu'il dit est vrai, on devrait la laisser retourner travailler, nan ? Souffla le blessé au plus costaud en continuant de presser sa plaie.

- Mouai, mais vaudrait mieux pas que je les recroise la petite-bourgeoise et la grande gueule.

Il cracha au pied de la blanche qui grimaça de dégoût en s'écartant puis après un signe à ses hommes, il s'en alla en roulant des mécaniques. Alice souffla alors au borgne avec une moue ennuyée :

- Votre intervention m'a tirée d'affaire. Ils étaient un peu trop nombreux, et trop énervés, pour moi, je ne peux le nier. Mais vous ne vous êtes pas trop mouillé non plus, je ne me sens donc pas spécialement redevable. D'ailleurs, vous vous mêlez souvent de ce qui ne vous regarde pas, je me trompe ? Je le devine à votre attitude.

Elle observa la foule qui discutait avec animation et faisait demi-tour à mesure que le temps passait. Les plus virulents n'avaient pas renoncé, et la technologue ne voulait plus s'exposer, donc elle proposa à l'homme en indiquant la ruelle dont elle venait :

- Je connais un endroit où l'on pourra patienter le temps que les choses se calment. Si vous le voulez, je répondrai alors à quelques-unes de vos questions, pour vous remercier.

Elle ajusta sa tenue et ajouta vivement :

- N'en attendez pas trop non plus !

La réaction du borgne n'étonna pas la jeune femme qui soupira de dépit, haussa les épaules et s'engouffra dans la ruelle sans plus tarder. Elle se sentait à la fois flattée et insultée, et cela la mettait très mal à l'aise. En même temps, trouver du répondant était assez étonnant de la part d'un homme qui, de toute évidence, n'avait pas autant d'éducation qu'elle. Il pouvait peut-être lui être utile, comme cette... Comment s'appelait-elle déjà ? Ah oui, Shäan ! Un prénom à la hauteur du personnage. D'ailleurs, elle pouvait commencer par là. Alice fut surprise d'être devancée, autant dans sa réflexion que dans la rapidité d'exécution.

- Alice Art'heas, je n'ai pas besoin de répéter que je suis Technologue, à priori, souffla t'elle sans donner plus de détails. Je ne peux pas dire que je sois enchantée, Zei. Mais faisons comme si, que la conversation demeure un minimum agréable pour chacun d'entre nous.

Pas qu'elle le pensait, mais elle savait que pour obtenir des informations, il fallait au minimum se montrer courtois. C'était bien peu d'efforts si cela pouvait se révéler utile. Elle les fit contourner une grande bâtisse à l'extérieur quelconque et inséra une clef dans la porte. Il n'y aurait plus personne, et ils y seraient tranquilles un moment. Il était même possible qu'il reste de quoi boire et manger si ses collègues n'avaient pas tout dévoré après la réunion.

Ils traversèrent une première salle à l'allure de bar désaffecté, puis un couloir donnant sur plusieurs portes fermées à double tour. La blanche fit glisser une autre clef dans une serrure et poussa le battant en souriant. Désert, comme elle l'avait espéré. Elle invita Zei d'un geste de la main et s'installa dans un fauteuil dont le jumeau attendait une âme appréciant son confort. La pièce était rangée, contrairement à l'accès, plein de caisses et de sacoches traînant dans l'attente des prochaines réunions de ceux que ça concernait. Alice, elle, ne tolérait pas le désordre. Chacun de ses sujets était traité avec un grand soin et jamais elle n'aurait abandonné des objets ou documents renseignant ses desseins au premier venu.

- À boire ? Ou vous voulait passer directement à des sujets plus sérieux ? Cette rencontre m'a desséchée... Souffla la Technologue en sortant deux verres et une bouteille de lait de muffalose et du whisky ainsi qu'une boîte de dattes à la pâte d'amandes d'un petit bureau.