La chaîne ou l'envol ? [& Zei]

Shäan fronçait les sourcils en pinçant les lèvres. Osait-il prétendre que c'était là son plan initial ? Elle avait simplement envie de profiter de sa connaissance de la ville, était-ce si mal ? Elle ne répondit pas à cette réflexion, un peu vexée qu'il la pensât si manipulatrice et bouda un moment, jusqu'à ce qu'il soit habillé et prêt à quitter la chambre. C'est seulement lorsque Zei se plia à sa volonté qu'un sourire reprit possession de ses lèvres et que la dame souffla, ravie :

- Je croyais que vous aimiez le danger ? N'étaient ce que de belles paroles pour me mettre dans votre lit ?

Elle haussa les épaules, mutine, puis se dirigea vers le couloir et laissa passer son amant avant de refermer la porte sur ses affaires. Hors de question qu'elle se fasse voler par inattention. Ils quittèrent l'auberge en quelques enjambées et la dame l'écouta attentivement avant de le questionner :

- Ce sera mieux que rien, je veux seulement voir la Technopôle depuis les cieux, peu importe si nous sommes découverts durant le trajet. Il suffira de glisser quelques pièces d'or dans la main du pilote, propriétaire, ou garde, qu'importe ! Je vous suis, Zei !

Ses yeux brillaient comme ceux d'un enfant qui quitte sa maison pour la première fois, prêt à découvrir les merveilles dont le monde regorge. L’excitation faisait battre son cœur plus vite, ou peut-être était-ce tout ce champagne qu'elle avait bu, elle n'avait en tout cas pas envie de faire machine arrière. Ses longues bottes de cuir étaient silencieuses sur le sol boueux, partiellement dallé. Son bras, glissé sous celui d'Un-oeil, rendait leur comédie plus crédible, et ne la dérangeait pas tant que ça dans sa marche. Ironiquement, la brune ne s'était jamais affiché ainsi avec son ex compagnon.

Ils arrivèrent devant un vieux hangar où du personnel s'activait, chargeant des caisse, nouant des cordes, remplissant les réservoirs des Aéronefs. Certains étaient plus beaux et richement décorés que d'autres, qui ne devaient servir qu'à la marchandise. La dame tendit l'oreille et repéra une discussion intéressante, elle tira alors Zei de côté, derrière une accumulation de caisses de toutes tailles pour lui souffler :

- L'homme tout à gauche dit que son aéronef doit partir dans vingt minutes une fois que les dernières caisses seront chargées. Il serait aisé de contourner leur attention en filant le long du mur derrière tout ce bazar, et de nous y glisser dès qu'il aura le dos tourné, qu'en dites vous ?

La question n'était en réalité qu'une politesse, car la dame avait déjà pris sa décision. Elle surveilla méticuleusement l'attitude de celui qui donnait les ordres, et lorsqu'il alla prendre un dossier sur un petit bureau à l'écart, Shäan tira son amant de toutes ses forces pour se glisser dans le véhicule et le pousser derrière le chargement qui avait était couvert d'une bâche. Elle souleva celle-ci et se glissa au-dessous, les recouvrant tout deux. Des voix vinrent vers eux, juste après que Shäan ait achevé de les cacher. Elle dut se retenir de rire, si proche du borgne qu'elle sentait son souffle dans son cou.

- Bien, faîtes descendre le personnel, grogna celui que Shäan avait identifié comme le gérant du transport, tout est prêt ? Vous avez bien vérifié ? Ses questions étaient entrecoupées de réponses traînantes, sans doutes les techniciens et employés chargés d'entreposer les caisses. Ok, ouvrez la porte Est alors, on est dans les temps et ils attendent la marchandise là-haut, ne traînons pas.

La brune dut se retenir de rire. Ha ! S'ils savaient que deux malicieux opportunistes s'étaient glissés dans leur parfait chargement ! L'aéronef se mit en branle, une odeur âcre s'éleva, sans doute la combustion du carburant, et un roulement de ferraille résonna dans le hangar. Soudainement il n'y eu plus que le silence de la nuit et le bruit de la machinerie qui permettait à leur véhicule de voler. Shäan retint son souffle et releva un peu la bâche, glissant un regard méfiant sur l'espace de stockage. Elle repéra une porte, à l'avant, qui devait être l'accès à la cabine du pilote. Seul un petit hublot donnait sur ce dernier, c'était parfait ! S'ils étaient discrets, il y avait donc peu de chance qu'ils soient repérés avant l'atterrissage ! La dame revint se coller à Zei dans leur cachette et susurra à son oreille :

- Attendons encore un peu, une fois en hauteur, il ne prendra pas le risque de redescendre et de prendre du retard sur sa livraison. Et en attendant...

Ses bras s'enroulèrent autour du cou de son amant et ses lèvres cherchèrent les siennes dans l'obscurité totale qui régnait sous la bâche de tissus épais.

La Chaîne ou l'Envol ?

Ft. Shäan

Ok, je crois qu'une fois levé, je me mets à davantage apprécier la suite de ce programme nocturne. Tout comme le comportement de la jeune femme qui se fait toujours aussi joueuse, ce qui me plait particulièrement.

- "C'est seulement qu'un gentleman doit s'assurer de la sécurité d'une dame mais... Si l'adrénaline est parmi les sensations que vous recherchez, je ne voudrais pas vous décevoir."

Oui, ça y est, je récupère une partie de mes facultés. Celles qui ne sont pas altérées par l'alcool en tout cas. Quoi qu'il en soit, je suis désormais parfaitement éveillé et tout à fait prêt pour ce petit jeu qui se poursuit. Et après quelques minutes de marche dans ces rues mal éclairées, tel un couple sortant d'une escapade crapuleuse, nous arrivons finalement jusqu'à ce hangar où les livreurs du ciel bien matinaux s'activent déjà.

Suivant les plans de Shäan qui montre une détermination sans faille pour avoir droit à son petit tour d'aéronef, nous voilà, quelques minutes plus tard, à bord de l'un de ces engins. Et je dois reconnaitre que cette sensation, au moment où nous nous glissons clandestinement au milieu du chargement, est des plus grisantes. C'est vrai. Autant parce que j'aime un peu trop cette excitation à agir à l'encontre des lois affichées que par cette nouvelle proximité avec la jeune femme.

- "Hum, on a effectivement pas mal de temps avant d'atteindre les hauts quartiers."

De sentir de nouveau Shäan contre moi, ses lèvres qui reviennent m'embrasser, le tout dans cette atmosphère très différente d'une classique chambre, a de quoi me faire largement apprécier cette décision de jouer aux passagers clandestins aériens. Et quitte à devoir patienter le temps que notre embarcation prenne de la hauteur, j'en profite pour laisser mes mains se glisser de nouveau sous le tissu léger qui compose la robe de mon amante à l'esprit rebelle.

Après quelques minutes d'intimité supplémentaires, passées sous cette bâche, le bruit désormais régulier du moteur indique que l'engin a pris son altitude maximale, survolant la Technopôle. Et il faut reconnaitre qu'il commençait à faire plutôt chaud là-dessous.

- "Il est temps de profiter du spectacle."

Je soulève légèrement la bâche, tentant de voir à peu près ce qui se passe autour de notre cachette. Pas grand chose a priori. Seul le pilote doit être occupé devant ses manettes, éventuellement un co-pilote, pour économiser un maximum de carburant probablement. Je m'extirpe finalement de cette planque pour pouvoir bouger un peu plus librement, et tend ma main pour aider Shäan à se relever à son tour. Discrètement, nous pouvons nous approcher d'une fenêtre latérale, d'où une grande partie de la ville, faiblement éclairée à l'aide des quelques rares éclairages publiques ou des établissements déjà éveillés, est à présent visible.

- "Les quartiers industriels sont déjà loin derrière. Et les hauts quartiers commencent déjà à se dessiner par là-bas."

Parlant à voix basse, surveillant l'avant de l’aéronef autant que mon champ de vision rétrécit me le permet, je profite également de ce spectacle offert. Si les Faubourgs se distinguent par les quelques lumières éparses qui leur permettent d'apparaitre partiellement à cette heure-ci, les Hauts Quartiers en revanche resplendissent déjà, largement illuminés, attirant facilement l'attention.

Après une étreinte endiablée et d'autres baisers partagées dans la moiteur de l'obscurité, Zei se décida à vérifier qu'ils étaient toujours seuls dans la cabine. Il sembla que ce fût le cas puisqu'il invita Shäan à quitter leur cachette. Attrapant sa main, la dame se laissa guider jusqu'à une fenêtre. Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'elle goûtait au spectacle, grandiose, et inhabituel, qui s'offrait à ses yeux. Sa main se serra autour de celle du borgne, comme si elle allait tomber, qu'un vertige enivrant lui arrachait le cœur et l'estomac d'un seul mouvement. Comme c'était bizarre de voir de petites silhouettes, au bas des rues, se hâter de rejoindre leur demeure, et d'autres s'activer pour préparer étals et magasins, nettoyer les rues ou fouiller les poubelles à la recherche de restes de la nuit... Jamais elle n'avait traversé le ciel ainsi... Comme c'était grisant !

Les yeux brillants, sautant d'un mouvement dans l'ombre à un lampadaire, puis à l'endroit que désignait Un-Oeil, consternée devant tant de différences entre l'endroit d'où elle venait et les fameux Haut-Quartiers. Il semblait à la dame qu'il se rendait vers un immense palais d'or et de colonnes encadrées de jardins, d'allées parfaitement pavées sans la moindre mauvaise herbe. Un paradis ? Était ce à cela que ça ressemblait ? Non. Pas pour Shäan en tout cas. Son berceau était à l'opposée de ce qu'elle apercevait et c'est en fronçant les sourcils qu'elle demanda à Zei :

- Est ce que ces gens apprécient vraiment de vivre dans de tels artifices ? Je ne comprends pas.

La brune se sentait un peu frustrée, consternée aussi. Tout semblait faux, un tableau, une illusion, rien de plus. Ah ! Comme elle n'aurait pas voulu vivre dans un endroit pareil, ce devait être le théâtre de tant de coups bas ! Elle n'osait même pas l'imaginer... Désemparée, elle regretta soudainement Jañgala, sa forêt indomptée, son lac miroitant, ses chutes cristalline et sa ville colorées pleine de vie et de chaleur humaine... Prise d'un vertige, ou peut être des effets du champagnes qui revenaient à la charge, Shäan s'appuya sur l'épaule de Zei en soufflant dans une moue contrariée :

- Je n'aime pas du tout cet endroit. Il paraissait si beau de loin, mais plus nous nous rapprochons, et plus je sens qu'il n'est pas ce qu'il parait... Désolée de vous avoir embarqué dans cette histoire, Zei... Peut-être pourrions-nous jouer une petite farce à ces messieurs les pilotes ? Oh, rien qui ne provoque un crash, je tiens à ma vie, mais une petite blague de bon goût !

Elle se tapota la lèvre, se redressant à présent qu'elle se sentait mieux. Après quelques minutes, la brune frappa dans ses mains sans les faire claquer et souffla au borgne, hilare et ayant du mal à se contenir pour ne pas révéler leur présence :

- Je sais, cachez-vous sous la bâche, je vais dire qu'on a été kidnappé et embarqué dans des caisses ! Je ramènerais quelqu'un vers vous en disant que vous ne vous réveillez pas, et qu'ils vous on peut être tué ! À ce moment-là, vous attendrez qu'il cherche à prendre votre pouls et lui ferez la peur de sa vie ! Avec un peu de chance, l'histoire prendra et nous n'auront pas d'ennuis, haha !

Shäan attrapa ses mains dans les siennes, attendant sa réaction. Ses grands yeux émeraude, plongés dans les siens, exprimaient toute l'envie de mettre son plan à exécution, mais si son amant n'était pas du même avis, elle saurait se ranger à une meilleure idée.

La Chaîne ou l'Envol ?

Ft. Shäan

Je n'ai pas vraiment pour habitude de me déplacer en aéronef et il faut reconnaitre qu'à chaque nouvelle expérience, la vue offerte d'aussi haut parait toujours aussi époustouflante. Grisante. Surplomber toute cette ville, en avoir un aperçu général en temps réel, il y a de quoi se sentir invincible. Enfin, dans notre cas, je n'oublie évidemment pas notre position de clandestins qui chasse bien vite mes rêves de grandeur. Est-ce cette immensité qui semble déstabiliser la jeune femme au point de la faire s'appuyer davantage sur moi ? Instinctivement, je passe mon bras autour de sa taille pour la soutenir.

- "Pour la plupart, ils apprécient effectivement leur position. La supériorité affichée sur le reste du peuple, l'opulence, ils ont ce qu'ils veulent, quand ils veulent. La majorité de ces gens a grandi dans ce milieu et ils seraient bien incapable de survivre s'ils devaient redescendre l'échelle sociale. Alors bien sûr, ils préfèrent se complaire dans leurs richesses."

Mais je peux comprendre la pointe d'incompréhension dont fait preuve Shäan face à ce mode de vie. Ils ont l'impression que tout leur est dû mais en réalité, jamais ils n'ont goûté à la vraie liberté. C'est bien parce que j'ai été éduqué dans un milieu comparable, que je sais à quel point on peut s'y sentir à l'étroit. Tout en ayant conscience qu'une grande majorité de ces personnes ne changerait pour au rien monde leur mode de vie.

- "Ne vous en faites pas pour ça, je crois que prendre l'air m'a fait le plus grand bien. Et puis, je ne m'étais jamais introduit illégalement dans un aéronef. Ça aurait été dommage de s'en priver !"

Je prononce cette phrase avec le sourire. Parce que c'est assez stimulant comme expérience. Alors oui, finalement, je suis assez satisfait de me trouver à plusieurs dizaines de mètres de hauteurs, plutôt qu'installé confortablement dans un lit à roupiller. Eh bien quoi, on a le droit de changer d'avis !

Pour ce qui est de Shäan, on dirait que de réfléchir à un nouveau coup monté lui rend subitement ses pleines capacités. Finie la mélancolie précédente, la voilà subitement pleine d'une nouvelle énergie, ce qui m'amuse quelque peu, je dois l'admettre. Oui, j'ai bien envie de voir quelle nouvelle idée extravagante elle va bien pouvoir trouver. Et il ne me faudra pas patienter très longtemps avant qu'un nouveau sourire n'étire mes lèvres. On va mettre ça sur le compte de tout ce qui s'est passé ce soir. Et de ce regard plein d'enthousiasme.

- "Jouer la comédie ? C'est une idée qui me plait assez. Même si le rôle du faux mort n'est pas des plus excitants, je devrais pouvoir m'en sortir avec ça. Mais ne trainez pas trop, il fait une chaleur étouffante là-dessous !"

Un enthousiasme assez modéré à l'idée de retourner me cacher, celui de Shäan pour son plan compense assez vite. Et puis il est vrai qu'il va falloir penser à retourner sur terre à un moment. Je n'ai pas particulièrement envie de perdre des heures dans les Hauts Quartiers avant de pouvoir en repartir. Sans oublier que la jeune femme reste une cliente plus que potentielle, autant m'assurer qu'elle soit dans de bonnes dispositions en lui accordant ce plaisir.

Je retourne donc vers notre cachette d'origine, alors que Shäan s'en va de l'autre côté mettre sa partie du plan à exécution. Je m'arrange pour laisser la bâche légèrement remontée, de sorte à ce qu'on puisse facilement croire que ma compagne de ce soir ait réellement essayé de me réveiller. Et ça me permet en plus de garder la tête à l'air libre ainsi qu'une partie du haut de mon corps, me permettant de respirer bien facilement que totalement recouvert.

De nouveau allongé, mais seul cette fois (ce qui est beaucoup moins agréable et beaucoup plus long) il me faut faire preuve de patience avant d'entendre des voix se rapprocher en même temps que des pas précipités venir dans ma direction. On dirait qu'elle a réussi. Bon, par contre c'est difficile de rester parfaitement immobile, de garder les traits du visage totalement neutres, en entendant ces voix plus ou moins paniquées.

Je pense avoir encore pas mal de progrès à faire dans le rôle de la victime, mais le nouvel arrivant doit être suffisamment perturbé par ce qui vient de lui tomber dessus pour s'approcher. Je ne peux pas voir, mais mes autres sens m'indiquent qu'au moment où les pas s'arrêtent, l'inconnu n'est qu'à quelques mètres. J'ai l'impression que les secondes s'éternisent. Il n'a pas l'air décidé pour les vérifications directes. J'ai l'impression de sentir ce regard pesant sur moi, mais l'impossibilité d'ouvrir les yeux entame encore un peu plus ma patience déjà mise à rude épreuve.

Alors quand enfin, un léger courant d'air m'arrive, comme si quelqu'un s'était accroupi près de moi, suivi du son d'une respiration accélérée, je ne tiens pas davantage avant de mettre fin à ce petit jeu. C'est donc sans prévenir que je me redresse en position assise d'un coup.

- "Eh bien, ce n'est pas particulièrement confortable comme endroit."

Je profite de retrouver la vue pour tourner la tête en direction de malheureux qui s'est retrouvé sur les fesses sous le coup de la surprise. En revanche, je ne peux pas dire que ce soit vraiment de la peur que je lis actuellement dans ses yeux exagérément ouverts, fixés sur moi. Il se recule comme il peut alors que je profite de ma liberté retrouvée pour me relever complètement, le malheureux ayant visiblement bien du mal à comprendre ce qui se passe.

La réponse de Zei n'allégea pas son âme, au contraire. Elle espéra ne jamais avoir à faire à des individus possédant une telle mentalité. L'opulence, une preuve de supériorité ? Elle grimaça. Compréhensif, son amant accepta le fait que la dame ne se sente pas à sa place en ces lieux. De ce caprice, il lui restait un goût amer dans la bouche et l'envie de fuir au loin. De rentrer chez elle le plus rapidement possible. Jamais elle ne s'était sentie si étrangère dans un lieu.

Jouer un vilain tour aux pilotes la remit d'aplomb et Zei accepta même de participer à cette comédie, ce que la conforta dans son idée. Ses lèvres, encore gonflées de baisers, retrouvèrent un semblant de sourire. Après avoir arrangé un peu la scène en ouvrant discrètement une caisse, Shäan posa un baiser supplémentaire sur les lèvres du borgne en soufflant :

- Je vais faire de mon mieux, mettez-vous en place ! Vite !

La brune se rendit vers la porte qui donnait dans le poste de conduite comme une furie, frappant à s'en faire saigner les mains, mais sans en arriver là tout de même. Elle hurla, feignant de lourds sanglots :

- Au secours, je vous en prie, aidez-moi ! Je crois qu'il... Mort ! Je vous en supplie... Pitié !

Ces mots lui arrachaient la bouche, mais que n'aurait elle pas fait pour que sa performance soit une réussite ? Un homme sortit de la cabine, la repoussant en ouvrant la porte.

- C'est quoi ce bordel ? On peut savoir qui vous êtes ?

Shäan s'était frotté les yeux pour les rougir et elle s'agrippa au bras de l'homme, le tirant à sa suite :

- C'est mon mari ! Elle dut se retenir de faire une moue qui l'aurait trahie. Il ne respire plus, je ne sais pas quoi faire ! Nous nous promenions dans la Technopôle, au sud des quartiers marchand quand nous avons été attaqués et je me suis réveillée dans cet aéronef. Aidez-moi, je ne suis rien sans lui ! Nouvelle grimace, comment dire tout ça en restant sérieuse ?

Une fois devant le corps de Zei, inerte et naturellement pâle, l'homme se rigidifia. Shäan cru un instant qu'il avait senti l'embrouille, car il ne paraissait pas vouloir se baisser, mais après avoir hésité et jeté un coup d'œil à la brune, il s'effectua. C'est alors que le borgne se redressa, lui faisant une belle surprise. La dame plissa les yeux en pinçant les lèvres. C'était tout ce dont il était capable, vraiment ? À se demander pourquoi elle s'était donné tant de mal !

Après que Zei se soit levé, le co-pilote se remit lui aussi sur ses pieds en se passant une main sur le visage, perplexe et suspicieux. Shäan n'hésita alors pas une seconde à se jeter sur Un-oeil, l'embrassant à pleine bouche comme devrait le faire une femme qui croit avoir perdu l'amour de sa vie en s'écriant entre deux baisers :

- Je croyais t'avoir perdu ! Qu'est-ce qui s'est passé ! Tu ne respirais plus... Je... Je suis tellement heureuse que tu sois en vie ! Il faut prévenir les autorités pour que ça n'arrive pas à d'autres bonnes gens, ajouta t'elle à l'intention du pilote. Je vous en prie, ramenez nous sur terre, je crains que mon cœur ne s'arrête à son tour... !

L'homme paniqua tandis que Shäan s'appuyait contre Zei, le dos de sa main contre son frotn comme si elle allait perdre connaissance et se précipita dans la cabine avant de revenir après avoir expliqué la situation en bredouillant :

- Nous allons vous déposer à un poste au plus vite. Je ne comprends rien, mais j'espère de tout cœur, ma dame, que vous et votre mari vous rétablirez au plus vite.

Déjà, l'aéronef faisait demi-tour, effectuant une boucle dans le ciel étoilé avant d'aller se poser sur une piste près de la milice. Le co-pilote s'excusa encore, proposa de les escorter pour être sûr qu'ils arriveraient à bon port, mais n'insista pas quand Shäan refusa, appuyant le fait qu'ils ne voulaient pas les retarder d'avantage. L'individu sembla se souvenir du délai et fila remettre le véhicule en marche. Moins de deux minutes, plus tard, il filait et la brune souffla à son amant :

- C'était moins une ! Retournons à l'auberge, je suis épuisée.

Posant sa main sur le bras d'Un-oeil, elle reprit le chemin de l'établissement où ils avaient dînés, pour ne citer que cette activité. Lorsqu'ils y arrivèrent, dix minutes plus tard, la brune s'arrêta et tourna vers le borgne un regard malicieux en lui soufflant :

- Voulez-vous partager ma chambre, Zei ? Ce sera ma façon de vous remercier pour cette escapade et les risques que vous avez pris pour me satisfaire.

La Chaîne ou l'Envol ?

Ft. Shäan

Feignant de ne pas reconnaitre l'endroit dans lequel je me réveil, j'en profite pour prendre connaissance du visage de l'homme qui a tenté une bonne action. Mais je n'en ai pas vraiment le temps, que déjà Shäan se jette à mon cou telle l'amoureuse éplorée qu'elle joue à la perfection, je dois bien l'admettre. Tellement que je pourrais presque y croire.

- "Tout va bien, je suis en vie et cet homme ne ressemble pas à ces malotrus, respire, ça va aller."

Je serre la demoiselle dans mes bras à la façon d'un homme voulant rassurer sa bienaimée prise de panique. Mais je ne peux pas dire être très à l'aise avec ce rôle. Je manque assurément d'expérience en la matière, et si j'essaie de me faire le plus convaincant possible, je sens une irrépressible envie de rire qui monte en moi. Est-il réellement possible de se montrer aussi niais ?

Apparemment oui, puisque notre homme se montre très conciliant et accepte de nous ramener au sol. J'imagine qu'il ne doit surtout pas avoir envie de se coltiner deux intrus (possiblement en mauvais état) plus longtemps que prévu. Je relâche alors légèrement mon étreinte de Shäan pendant que l'aéronef change de direction, pour repartir en direction de la terre ferme. Et finalement, nous voilà à nouveau dans ces rues que nous avions quitté un peu plus tôt pour cette petite virée dans les airs, à reprendre la direction de l'auberge où nous avons déjà passé une partie de la nuit. Jusqu'à ce qu'on rejoigne ce bâtiment où j'aurais effectivement pu m'endormir avant cette escapade nocturne.

- "Cette proposition est très attrayante je vous l'accorde et je pourrais facilement me laisser tenter, mais la nuit est déjà bien avancée, il serait bien plus sage que je vous laisse ici pour ce soir."

Parce que maintenant que j'ai pris l'air, je ne suis pas sûr d'avoir très envie de me contenter de dormir si je remonte. Ce qui ne parait pas être le sens de sa proposition, mais j'ai pour habitude de partir du principe que toutes les bonnes choses ont une fin. Oui, je crois qu'il est largement temps qu'on se sépare pour ce soir. Ce qui ne m'empêche pas de me pencher légèrement pour revenir embrasser chaudement mon amante de la nuit, profitant une dernière fois de ce contact enivrant.

- "J'ai passé un très bon moment en votre compagnie, et je dois admettre avoir été très agréablement surpris. Mais le meilleur moyen de me remercier, ce serait encore que vous passiez effectivement me voir au magasin demain. En attendant, vous devriez profiter de ce qu'il reste de la nuit pour vous reposer."

Voilà qui est bien plus raisonnable comme plan. Laisser la jeune femme rejoindre l'intérieur du bâtiment avant de repartir de mon côté. C'est bien parce que ces instants d'intimité ne durent qu'un temps limité qu'ils en sont aussi excitants. Il est donc largement temps de retrouver mon côté professionnel.

Shäan haussa les épaules en soupirant. Tant pis pour lui. Elle fut surprise par son baiser, mais lui rendit avant de lui jeter un dernier regard embrasé et de tourner les talons pour regagner sa chambre. Avant de disparaître dans le bâtiment, elle lui jeta toutefois par-dessus l'épaule :

- J'y serais, je tiens toujours parole. Et Zei ? Moi aussi, j'ai passé une très agréable soirée.

Le froissement du tissu de sa robe s'estompa dans le brouhaha de l'auberge. Il était tôt, très tôt, même. Les cuisiniers et serveurs s'activaient à préparer la salle pour y accueillir les premiers clients du jour. Pour la dame, ce ne serait pas avant sept heures de sommeil. Si elle devait négocier avec le borgne le prix d'un objet rarissime, il était hors de question qu'elle le fasse avec des cernes et l'esprit dans le brouillard. L'escapade l'avait forcé à décuver, c'était déjà ça de gagné.

Après avoir donné un coup de clef dans la serrure, s'enfermant dans la pièce, la brune laissa sa robe glisser au sol, ne gardant que ses dessous. Il régnait dans la chambre une certaine moiteur. Les draps étaient défaits, les bouteilles de champagne traînaient au pied du lit. Il fallait chasser l'ivresse des corps qui n'avaient pas quitté l'endroit. La dame ouvrit donc la fenêtre pour laisser l'air circuler, secoua et refit le lit, puis plaça les bouteilles vides qui dispensaient l'odeur enivrante des bulles festives à côté de la porte. Voilà qui était mieux.

Après s'être fait une toilette rapide à l'aide du broc et de la bassine d'eau disponible, la brune démêla ses longs cheveux, les tressa et se coucha. Elle ne mit pas bien longtemps à s'endormir profondément et dépassa midi sans se réveiller. Ce fut un incident dans la rue laissant les voix se chevaucher qui la tira des rêves dans lesquels elle se prélassait. En râlant, Shäan s'étira, bailla à s'en décrocher la mâchoire et s'habilla. Sa tenue n'avait rien à voir avec celle de la veille. Sobre, elle était surtout bien plus discrète. Après tout, une fois l'affaire conclue, elle partirait de la Technopole. Une tunique et un pantalon étaient donc plus appropriés.

Après un déjeuner rapide et un grand café noir, la dame prit la direction de la boutique que Zei partageait avec l'autre charlatan. Ce fut d'ailleurs ce dernier qui l'accueillit, et elle exprima d'une voix claire et suave :

- Bonjour, je cherche Zei. Ne me dites pas qu'il dort encore ?

La Chaîne ou l'Envol ?

Ft. Shäan

Le retour jusqu'à l'appartement dans lequel je loge depuis plusieurs années est loin d'être aussi agréable que le reste de la soirée. Mais le réveil est encore pire. Si encore je pouvais me contenter de maudire ce mal de crâne (le champagne est vraiment traitre pour ça !) les yeux plongés dans mon café qui refroidi, ça passerait. Sauf que je dois en plus composer avec la curiosité de mes colocataires qui ne cessent de chercher pourquoi (et pour qui) je suis rentré aussi tard. De quoi me motiver à ne pas m'attarder sur place.

Je n'ai assurément pas assez dormi, mais avec un bon coup d'eau froide de passée sur le visage avant de terminer de me préparer, j'ai les idées bien plus au clair et le regard moins embrumé. Une nouvelle journée au programme pas des plus excitants. A part Shäan qui doit repasser, je n'ai rien de très intéressant de prévu. Mais une vente en perspective suffit à me redonner le sourire alors que j'entre dans la boutique, où Rawen est déjà occupé à briquer ses bibelots. Je ne suis toujours pas sûr que ce soit ce qui l'aide à écouler sa camelote, mais je peux au moins m’échapper rapidement vers l'arrière boutique pour gérer mes affaires, évitant de nouvelles questions.

Je réussis à garder ma concentration focalisée sur la gestion de la marchandise en cours d'acheminement, de quoi m'éviter de piquer du nez, quand quelques coups sur la porte me font relever la tête.

- "Zei ! Ta cliente d'hier soir est arrivée ! Et elle a meilleure mine que toi quand t'as débarqué ce matin ! Va falloir qu'tu lui d'mandes son secret ahah !"

Comment est-ce qu'il fait pour percuter aussi vite ce genre de détails alors qu'il n'est pas foutu de faire une soustraction sans se planter ?! Quoi qu'il en soit, je sens que je ne vais pas apprécier particulièrement cet air enjoué qu'il affiche en disant ce genre de chose. Heureusement, ce n'est pas sa gueule que je vais avoir à supporter ! Je ne prends pas la peine de le remercier et me lève de ma chaise pour rejoindre la jeune femme dans la pièce centrale, sans la faire supporter davantage la présence de mon collaborateur.

- "Bonjour Shäan, je suis ravi de vous revoir ici aujourd'hui. Comment allez-vous ?"

Je suis de nouveau à ma place de vendeur, toujours poli et attentionné, mais très loin de mon comportement beaucoup plus entreprenant de la veille au soir. C'est aussi une des raisons pour lesquelles je préfère largement passer la fin de la nuit chacun de notre côté. C'est beaucoup plus simple pour rompre avec le rapprochement physique qui s'était mis en place. Des sourires professionnels mais aucun autre geste qui pourrait paraitre déplacé.

- "Je crois que je vous ai fait patienter bien assez longtemps alors suivez moi, je vous en prie, qu'on aille dans un endroit plus intéressant !"

Ce n'est pas très compliqué de trouver des étales plus intéressants que ce qu'il y a d'exposé sur ces étagères. Mais l'avantage, c'est que nous n'avons pas à aller très loin. Je guide la jeune femme vers le fond du magasin, ouvrant une porte qui donne sur une petite cour, elle-même donnant accès à un escalier qui descend cinq mètres plus bas. La pièce dans laquelle nous arrivons alors n'est pas aussi lumineuse ni attrayante que la salle principale, mais il est évident que cet endroit n'a pas pour vocation d'attirer la clientèle de masse.

Le soleil qui filtre par les petites fenêtres situées en haut, éclaire quelques vitrines qui renferment une partie des objets que je peux me permettre d'exposer. Des bijoux de valeur pour la plupart, mais relativement banals pour avoir pu appartenir à différentes personnes. Rien qui ne puisse être reconnu au premier coup d’œil. Les pièces les plus rares (et donc les plus sensibles) restent quant à elles bien sagement à l'abri des regards, dans une malle solide, dissimulée dans le fond de la salle. Mais avant de dévoiler les plus précieux de ces trésors, je préfère laisser Shäan prendre connaissance de ce qui se trouve actuellement dans la pièce. Si ça se trouve, elle n'est pas aussi difficile que ce qu'elle laissait penser hier soir.

Devant la remarque du vendeur de breloque, la dame ne put que pouffer et lui souffler en ajustant son bagage sur son épaule :

- Je ne les révèle pas si facilement.

Zei arriva rapidement pour prendre le relais et la brune lui répondit avec un sourire malicieux :

- Mieux que vous de ce que j'ai cru comprendre. J'espère toutefois que vos états d'âmes n'auront pas d'impact sur nos affaires.

Le borgne semblait vouloir en venir rapidement à la transaction et la brune ne put qu'hocher la tête, satisfaite de ne pas avoir à le presser. Shäan le suivit donc d'un pas assuré, ne jetant pas même un regard aux objets se trouvant sur les étagères. Ils passèrent une porte, au fond de la pièce, qui donnait sur une arrière-cour, puis un escalier les invita à gagner l'obscurité d'une autre pièce. Chaque détail s'inscrivait dans l'esprit de la dame. On ne savait jamais, après tout, elle serait peut-être amenée à revenir.

Les yeux de la collectionneuse s'attaquèrent aussitôt à décortiquer ce qu'elle voyait, scrutant le moindre bijou, la plus petite broche, le plus excentrique solitaire, sans que rien ne la convainque. Une moue exaspérée déforma son sourire poli et elle tourna vers le receleur, puisque que ce qu'elle voyait devait bien venir de quelque part, pour lui demander avec une pointe de reproche :

- Rassurez-moi, vous n'espériez pas me faire acheter l'une de ces parures ? Elles sont certes jolies, mais n'ont rien qui puisse m'intéresser. Si c'est là tout ce que vous avez, je crains de n'avoir perdu mon temps.

Toutefois, il y avait dans l'attitude du borgne quelque chose qui lui donnait tord. Shäan ajouta alors en soupirant :

- Pourquoi me faire languir ? Vous savez bien que je ne suis pas là pour ces banalités ?

La Chaîne ou l'Envol ?

Ft. Shäan

- "Mes états d'âmes ? Non, je distingue parfaitement ma vie personnelle et professionnelle, ne vous en faites pas."

D'autant plus que si j'ai voulu passer cette soirée en sa compagnie à la base, c'était bien pour évaluer à quel point je pouvais effectivement l'amener dans ce sous-sol. Même si effectivement, ces quelques rapprochements physiques non obligatoires n'étaient pas pour me déplaire. Comme on dit, quand on peut lier l'utile à l'agréable, pourquoi se priver ?

Quoi qu'il en soit, l'heure n'est plus aux politesses. Il est largement temps de passer aux choses sérieuses. J'observe donc Shäan les quelques secondes qu'il lui faut pour appréhender cette nouvelle pièce dans laquelle je viens de l'emmener, et surtout, les quelques objets qui y sont exposés. Elle ne s'émerveille pas devant quoi que ce soit, prouvant en même temps qu'elle n'est pas ici seulement pour trouver de nouveaux bijoux un peu brillants à arborer.

C'est vrai que j'ai du mal à me départir d'un sourire légèrement amusé en entendant la remarque de ma cliente du jour. Ce qui n'a en revanche pas l'air de plaire tant que ça à la principale intéressée.

- "Veuillez m'excuser mais c'est que, je devais bien m'en assurer. En effet, il y a bien encore quelques articles qui se trouvent en ce lieu. Dont un en particulier qui, je l'espère, devrait réussir à vous satisfaire."

Tout en essayant de rassurer Shäan (il est vrai qu'un lendemain de cuite, la patience est rarement la qualité première qui ressort !) je me dirige dans un autre coin de la pièce où se trouvent deux gros coffres cadenassés, camouflés dans la pénombre ambiante. Je sors une clé de ma poche, déverrouillant l'un d'eux, pour attraper ce que j'avais en tête pour une femme aussi exigeante.

- "Un diadème. Mais pas un banal bijou que vous pourrez trouver chez n'importe quel commerçant. Celui-ci est assez unique en son genre, puisque c'est à l’impératrice d'Himabaha elle-même qu'il a appartenu. Tous types d'histoires circulent à son sujet, mais toutes semblent s'accorder sur le fait que ce diadème garanti le succès à celle qui le porte. Gloire, richesse, amour, tout semble a portée de main avec ce bijou."

Je reviens à hauteur de Shäan tout en lui présentant ce que j'ai effectivement à lui vendre. Raconter l'histoire qui va avec un objet, c'est une habitude indispensable pour espérer attirer l'intérêt. Et s'il m'arrive régulièrement de broder pour écouler une partie de la marchandise, cette fois, je n'ai pas besoin de faire travailler mon imagination, les légendes à propos de ce diadème l'ont déjà fait pour moi. Ce qui justifie d'ailleurs cette place à l'abri des regards qu'il gardait.

- "Est-ce que cela convient davantage à vos attentes ?"

Je lui pose la question tout en lui tendant l'objet pour qu'elle puisse s'en saisir, puisque cette fois, je n'ai effectivement rien de mieux à lui proposer.