Le bal du Muguet [All]

À peine Koniake avait-il eu le temps de saluer Emrys et Zeï qu'une personne se glissa derrière lui, lui tirant un sourire légèrement forcé.

— Shaan, c'est un réel plaisir de vous revoir ! Quant à vous cher Karl... Veuillez accepter mes excuses et mes manières, mais la ressemblance était frappante, si votre moustache n'était pas aussi soyeuse et fringante, il m'aurait été impossible de vous différencier.

Il parlait de manière narquoise et basse, pour contrebalancer avec son ton grandiloquent. Il avait compris sa bourde et ne comptait pas se mettre Zeï, envers qui il avait une dette, à dos. Il finit par se tourner vers Shaan parlant encore moins fort.

— Seulement, quand j'ai besoin d'argent, chère amie. 

Il avait pris un large sourire pour prononcer ses mots, avant de lui faire un clin d'œil. Il se reconcentra sur le couple et s'adressa plus particulièrement à Emrys. Après avoir embrassé sa main. 

— Il faut croire qu'Apophis œuvre même sur les terres de Torksan en croisant nos destins à nouveau. 

Mais alors qu'il parlait, il fut surpris par l'arrivée d'Eliott et la réaction d'Emrys. Zeï et Shaan ? Impossible ! Foi de barde, il n'y croyait nullement. 

— Non, c'est le mie... Oh.

Il fut assez surpris de voir la jeune fille partir sans crier gare, tout en posant la main sur le bras du borgne. Il y avait quelque chose entre eux ? C'était plausible après tout... Quand un garde commença à élever la voix contre Eliott, le barde se tendit et se prépara à s'interposer, mais Shaan fut plus réactive. 

Du côté d'Eliott, à la suggestion d'Emrys, il s'était tout ramassé, en rougissant. Il parvint tout de même à répondre à Shaan. 

— Euh, un peu des fois... Quand je suis debout longtemps, le bois me rentre dans... Fin voilà. 

Koniake s'approcha et ébouriffa doucement les cheveux du garçon. Avant de passer ses mains sur les épaules du garçon qui s'ébroua pour la forme, mais laissa finalement les mains de son protecteur où elles étaient. 

— Ce ne sont que des prototypes. Mais on cherche à réunir un peu d'argent pour qu'il puisse avoir de vraies bonnes prothèses. Un ami de nous a aidé à obtenir un rabais auprès d'un artisan technopolitain. 

Koniake jeta un regard amusé à Zeï, le gratifiant d'un clin d'œil, avant de faire courir ses yeux vers la sortie où Emrys était parti. Il s'adressa finalement aux deux autres. 

— Vous pouvez garder un œil sur Eliott ? Il n'a pas le droit de boire, l'alcool le rend teigneux ! Je dois aller évoquer des souvenirs du passé avec votre amie, cher Karl. 

Et sur ces mots narquois, une courbette de nobliard et les grognements du garçon, Koniake s'éclipsa pour rejoindre Emrys. Mais une voix lui fit tourner la tête. Au loin, il aperçut Leukos, qui chantait... Et pas n'importe quelle chanson... C'était à n'en point douter idéal dans une soirée comme celle-ci. Il applaudit à grand renfort de bras et hurla des encouragements au triton, se faisant regarder étrangement par les convives. Le garçon ne manqua pas de se soustraire au regard en sortant sur un balcon, attrapant deux coupes sur un plateau, il s'approcha doucement d'Emrys. 

— Besoin d'un remontant ? 

Il lui tendit la coupe avec un sourire avant d'aller s'asseoir sur la rambarde du balcon l'air de rien. 

— Eh bien, Emrys, c'est une agréable surprise de vous revoir ! Vous avez bien voyagé ! Êtes-vous toujours aussi grisé par celui-ci ? Appréciez-vous l'opulence Sahlienne ? 

Il parlait avec le sourire, en prenant un air détendu. Il avait bien remarqué le trouble de la jeune femme, ainsi, lui remonter le moral était devenu comme une sorte de priorité pour le jeune barde. 

— Cela dit, vous manquez le chant d'un triton à l'intérieur ! C'est une caresse d'une rare douceur à nos oreilles. 

Il prit soudainement un air exagérément songeur. 

— Peut-être, ne devrais-je pas vous encourager à l'écouter, vous pourriez le trouver plus talentueux que moi ! 

Alors que Déholia laissait Shäan partir en lui faisant de grands signes, elle attrapa la main de son camarade pour rejoindre l'autre qu'elle avait plus loin en train d'engloutir des petits fours.

-Eh, fais gaffe, tu pourras plus esquiver les coups si tu bouffes trop ! Même si la chevalerie Sahlienne a la dextérité d'un Muffalooser...

Alors qu'elle continuait de critiquer les soldats de Sahl, sous les regards outragés des nobles, quelque chose d'étrange se produisit sur la scène. Un triton monta sur celle-ci et se mit à chanter une chanson plus que détonante avec l'ambiance. Déholia s'esclaffa.

-Ah ! Le bande-mou !

Elle frappa du coude un noble près d'elle.

-C'est d'vous qu'il parle, pas vrai ?

Puis elle s'esclaffa en applaudissant et laissant échapper un rire sonore et sincère. Qui couvrait aisément les gloussements des quelques nobles qui avaient eut l'audace d'apprécier pareille comptine.

-Allez la poiscaille !! Une autre !!

Les deux camarades de Déholia ne savait plus où se mettre, dès qu'on croisait leur regard, ils se défendaient en disant « on la connaît pas, elle est pas avec nous ». Mais alors que la croc était toute hilare, une furie aux cheveux clairs et à la peau de porcelaine, la percuta, renversant le champagne qu'elle avait rallongé avec du rhum. Déholia pesta, avant de se figer suite aux mots de la dame.

Elle était habituée à ce qu'on la considère comme quelqu'un d'inconvenant, qu'on lui reproche ses traits physiques, ce n'était donc pas ça qui l'avait fait tiquer. Non, c'était bel et bien le nom qu'elle avait prononcé, celui de Miuna. La soldate se tourna vers Edgar.

-Je vais essayer d'me sécher cette merde. J'arrive.

Et elle fit volte face pour sortir, à la suite de la femme. Arrivant à proximité des toilette et de la femme, elle l'attrapa par le poignet et la tira à l'intérieur. La seconde d'après, la furie en robe blanche était plaquée contre un mur, un bras sur le cou et le haut de son thorax, un autre sur son bras. L'empêchant de faire le moindre mouvement

-Comment tu connais le nom d'mini-Stratus ?! Tu fais partie d'ses kidnappeur ?! T'as intérêt à parler, j'suis pas patiente avec les ravisseurs de gamine. Surtout quand elles se cachent derrière un joli teint, comme le tien.

Elle accentua un instant la pression sur le cou de la noble, pour lui montrer qu'elle ne plaisantait pas.

Voilà trois semaines qu’Hyrmina n’était pas sortie. Trois longues semaines. Plus le temps passait, plus cet enfermement lui était pénible. Même si la compagnie de ces gens n’était assurément pas celle que son cœur désirait, c’était malgré tout un accès au monde et à ses beautés. De toute façon, c’était le seul. Alors, une fois de plus, elle se fondrait dans la masse des nobliaux, entamerait la conversation et le reste irait tout seul. Au moins cette fois son père était là. Il était si rare qu’elle le voit. Toujours occupé à ses affaires, il n’avait bien sûr jamais une minute pour sa fille.

Et pourtant, le voyage en calèche s’était déroulé dans un silence assourdissant. Hyrmina avait, comme à son habitude, gardé les yeux baissés et la bouche close. Son père semblait être perdu dans ses pensées et n’accorder que peu d’intérêt aux deux belles Aelles qui l’entouraient. Quant à sa mère, bien que muette, elle envahissait l’espace par sa seule présence. Nul doute qu’elle serait au centre de bien des conversations ce soir… Et sa robe d’un rouge éclatant n’y serait pas pour rien.

Cela dit, côté tenue, Hyrmina rivalisait amplement avec sa mère. Maintenant qu’elle avait compris qu’il lui était impossible de garder sa fille camouflée sous des vêtements quelconques, Muriah se servait d’elle comme atout lors des mondanités et la paraît somptueusement, pour lui faire ensuite payer plus chèrement, une fois rentrés chez eux, ses traits presque parfaits. En dépit de leurs codes et de leurs multiples règles implicites, les évènements mondains restaient pour Hyrmina son unique moment de liberté où son attrait pour ce qui est beau pouvait enfin être révélé au grand jour.  
Pour ce bal qui promettait d’être des plus éblouissants, la demoiselle avait soigneusement attaché ses cheveux en une coiffure complexe, à mi-chemin entre le chignon et la tresse, où toutes les nuances de ses douces mèches ondulées pouvaient être admirées sans restriction. Non encore totalement satisfaite du résultat, elle piqua une rose fraiche sur le côté de sa tête. Voilà, c’était parfait. Pour le maquillage, il fallait rester léger ; le reste de sa tenue était déjà bien assez voyant. Un peu de fard à paupières, de mascara et c’était tout. Le principal élément, qui devait attirer à elle un maximum de regards (si possibles ceux des plus hauts dignitaires espérait sa mère), c’était bien sa robe. Taillée sur mesure, elle mettait en valeur sa taille fine et sa petite poitrine, et ce tout en restant élégante et raffinée. Un vrai chef-d’œuvre. Il s’agissait aussi probablement de celle qui avait coûté le plus cher à ses parents. Composée de deux tissus superposés, elle avait une dimension véritablement aérienne. Celui du dessous était en soie dorée, unie, d’un éclat délicat et sensuel, au décolleté plongeant. Celui du dessus, transparent mais orné de courbes d’or elles aussi, remontait jusqu’à son cou et se déployait en amples volants dégradés sur ses bras dénudés, augmentant sa grâce zéphyrienne par cet habile jeu de voiles qui ne cachaient rien, ou presque.

Dans le but de maximiser leur chance d’être remarqués dès leur entrée, Muriah s’était organisée pour arriver en retard au bal du Muguet pour lequel ils avaient reçu une invitation. Chaque jour qui passait augmentait leur prestige et ils étaient désormais certains d’être anoblis d’ici peu de temps. Mais, à vrai dire, Hyrmina ne se préoccupait pas de cela. S’appeler Kaldoel ou de Kaldoel ne changerait pas grand-chose à sa vie… En tout cas, elle était bien décidée à profiter de ce bal, le premier auquel elle participait qui était ouvert à toutes les catégories sociales de la population de Sahl. Cela promettait d’être intéressant.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin, Hyrmina s’étonna de voir quelques personnes attendre encore qu’on les annonce pour entrer dans la salle de réception. Visiblement, sa mère avait bien choisi son moment. Ils n’eurent pas à attendre longtemps pour que leur tour vienne. Ses parents passèrent d’abord, en couple. Puis vint son tour.

- Mademoiselle Hyrmina Kaldoel !

Elle gravit alors de son pas souple et mesuré les marches qui la conduisirent du hall d'entrée à la salle de réception.