Du point de vue de beaucoup d'Ezyloniens, Adamarys ne pouvait pas vraiment être considérée comme une aventurière. Ses excursions en dehors de sa Technopôle natale se limitaient au nombre de ... un. Une excursion assez désordonnée qu'elle avait effectuée à Sha'Lu, pour récupérer un ancien artefact. Pas vraiment une expérience formatrice pour ce qui était de se mêler à la faune locale, cette dernière était inexistante. Oh il y avait bien eu quelques créatures effrayantes, mais aux yeux de la jeune érudite, la difficulté était bien loin d'égaler celle de l'art de s'intégrer à la foule. Elle avait toujours eu le port de tête trop hautain, le regard trop méprisant, le visage marqué par une indifférence profonde, bref, rien qui ne pouvait lui être utile pour s'attirer de la sympathie.
Cette fois-ci, Adamarys avait été envoyée dans la jungle à l'ouest d'Ezylone. Jañgala était pour elle probablement le territoire qui pouvait offrir le plus de mystères et de surprises. Quoi que Mü et ses immenses étendues sous-marines ne se débrouillaient pas mal non plus. Surexcitée à l'idée d'affronter les dangers et les obstacles d'un tel terrain, elle avait préparé son excursion durant plus d'une semaine. Rien n'avait été laissé au hasard. Elle avait prévu de prendre le bateau jusqu'à Mystarcia, puis d'y trouver un guide qui l'aiderait à traverser l'épaisse forêt. Quelqu'un qui connaîtrait l'endroit comme sa poche, et qui pourrait probablement lui trouver le meilleur endroit pour dénicher la fleur qu'on l'avait chargée de rapporter. Une plante dont la fleur jaune en forme d'étoile contiendrait de puissants antalgiques qui pourraient être très utiles pour les Médecins de la cité-état.
La brune avait déjà repéré dans quelques vieux guides et rapports de la bibliothèque une bonne adresse pour dénicher son guide, et avait aussitôt entouré d'un cercle rouge l'emplacement sur la carte qu'elle avait prévu d'emporter. Et une fois arrivée sur les quais de Mystarcia, elle s'était aussitôt mise en marche. Mais voilà, la capitale de Jañgala ne semblait pas encline à se laisser dompter de la sorte. Les rues ne correspondaient plus à ce qui était griffonné sur son vieux parchemin. Certains bâtiments avaient été rasés, d'autres reconstruits, des échoppes et des marchés ambulants encombraient les rues, laissant la jeune fille dans une confusion qu'elle n'appréciait guère. Et quand, après plusieurs heures de laborieuses recherches, elle avait finalement trouvé la bâtisse qu'elle cherchait, une mauvaise surprise l'attendait : il était évident que plus personne n'habitait ici depuis longtemps.
On lui avait bien indiqué où elle pouvait trouver un digne remplaçant, mais Adamarys s'était depuis longtemps égarée dans le dédale des ruelles. Il lui semblait même qu'elle était sortie de l'enceinte protectrices des murs de pierre depuis longtemps. Autour d'elle, tout semblait se rapprocher de plus en plus de l'idée qu'elle se faisait des Bas-Fonds de la Technopôle : des maisons peu entretenues, des Ezyloniens allongés dans le caniveau, des tas de toile et de bois qui semblaient faire office d'habitations. Après un soupire contrarié, notre jeune Technopôlitaine s'arrêta, et consulta une énième fois la carte qu'elle commençait à regretter d'avoir apporté. Mais une voix masculine la sorti de sa concentration.
- Hé, salut mam'zelle. T'es perdue ? T'as besoin d'un p'tit coup de main ?
Rien dans sa voix ne ressemblait à de la bienveillance, ou de la gentillesse. En fait, on aurait plutôt dit un timbre bestial, comme une créature sauvage qui savait qu'elle était sur le point de faire un bon repas. Adamarys leva ses yeux dorés et les planta sur l'homme, avant de répondre avec son impassibilité habituelle :
- Non, merci, je n'ai nul besoin de vos services. Pourriez-vous s'il vous plait me laisser me concentrer ? Mais l'homme se contenta de ricaner d'un air mauvais, tandis que d'autres commençaient à le rejoindre, encerclant sans qu'elle s'en aperçoive la jeune fille.
- Mais c'est qu'elle cause bien, la p'tite demoiselle ! Ça m'étonnerait pas qu'il y ai dans sa bourses deux trois bricoles intéressantes ! Allez, ma jolie, fais pas ta timide, ouvre nous un peu tout ça ...
- « Et c’est pas qu’sa bourse qu’elle va ouvrir mon pote, hahahaha ! »
Et voilà qu’ils s’gaussèrent comme d’gros enfoirés. La phrase, crade au possible, n’laissait aucun doute sur les intentions des nombreux types qui encerclaient petit à petit la pauvre jeune femme qui devait s’demander c’qu’elle fichait là. D’ailleurs, l’gros con qui avait lancé ladite phrase crade lui avait violemment arraché sa carte non sans un « Faut qu’tu nous regardes quand on t’parles » avant de déchiqueter sa trouvaille, tout fier d’ce qu’il venait d’faire. Quant à celui qui l’avait abordé, il la contourna tranquillement et s’amusa à foutre une claque sourde sur l’une d’ses fesses qu’il finit par agripper salement, l’tout sous les caquètements des autres cons qui s’étaient agglutinés autour d’leur victime. Elle sentait l’chic. Elle sentait l’fric. Elle sentait la rose. Elle sentait la p’tite pucelle d’la haute qu’ils s’voyaient bien consommer et dépouiller. Dans cette lignée, celui qui lui pelotait grassement l’cul s’aida d’sa deuxième main pour saisir un pan d’sa chevelure histoire d’l’approcher à ses narines pour la sniffer. Ouais… Pas de doutes possibles. Il reconnaissait l’odeur très caractéristique d’la haute, d’la bourgeoisie et même plus encore, en fait…
- « Cette pute, elle est pas d’ici les gars ! On a gagné l’gros lot ! »
Et voilà que les autres bougres s’mirent à applaudir et à siffler comme d’gros cons. S’il s’agissait d’une étrangère qui s’était perdue, y’avait plus qu’une chose à faire : la mettre aux fers et la vendre comme esclave ! Du pain béni en ces temps incertains. Un p’tit pactole à l’horizon. Vu qu’elle était jeune et qu’elle était par-dessous belle, y’avait moyen qu’ils s’fassent masse d’oseille. Mais bien avant d’la vendre, il fallait bien qu’elle serve un peu. Qu’ils testent la marchandise. D’quoi pousser leur chef à s’foutre contre sa victime, à s’coller et frotter son joli postérieur, avant d’verrouiller sa taille d’un bras, non sans passer vulgairement sa langue râpeuse sur l’une d’ses joues. L’idée était simple ! La terrifier et lui donner l’ton des prochaines heures et prochains jours à venir. La phrase suivante confirma tout simplement ses gestes lubriques qui n’manquaient pas d’arracher des rires aux autres spectateurs et complices : « T’en fais pas poupée. Avant d’te vendre, on va t’dresser bien comme y faut, t’vas voir ! » L’une d’ses paluches voulut ramper le long d’son ventre et choper l’un d’ses seins quant un cri fusa parmi l’un d’entre eux. D’quoi ébranler tout l’groupe.
- « D’quoi ? Qu’est-ce qu’il y a encore ? »
Alors que leur leadeur arrêta d’tripoter sa victime et questionna ses sbires, celui qui avait soudain gueulé leva sa main et pointa une direction en tremblant sur lui-même. Interloqués tout d’abord, les autres membres du groupe avaient dirigé leurs regards vers la direction montrée du doigt. La surprise n’fut pas que grande. Elle fut aussi amère. Deux poltrons eurent l’réflexe de détaler aussitôt comme d’vrais lapins, mais l’reste des hommes en plus d’être sans voix, furent totalement tétanisés. Si certains sentirent l’sol s’dérober sous leurs pieds, d’autres tombèrent aussitôt dans les pommes. L’un d’entre eux, certainement l’plus jeune, s’fit carrément dessus en commençant à chialer ; et même que celui qui tripatouillait la jeune femme semblait choqué par la silhouette dans son champ d’vision, non sans trembler sur lui-même. Par réflexe, il sortit une dague d’ses vêtements et la posa carrément sous la gorge d’la belle brune qu’il prévoyait pourtant d’niquer. C’était pas possible qu’il s’disait ! Comment est-ce qu’un type d’son calibre s’retrouvait dans l’coin. Pour ces bandits d’bas-étage, la journée prit soudain une drôle d’tournure. Ça sentait juste pas bon…
- « Hohé… C’pas joli joli d’flipper comme ça. J’veux bien avoir une sale gueule, mais quand même… »
J’avais enfin pris la parole, à la limite d’la rigolade. Assis sur une caisse miteuse et adossé à un mur délabré les bras croisés, j’contemplais la scène qui m’était donné d’observer avec amusement. Ma soudaine présence était dû au hasard. Simple promenade d’prospection. Il m’arrivait plus trop d’venir dans les environs depuis que j’avais été promu commandant, mais j’avais cassé ma p’tite routine d’paperasses depuis une semaine pour trainer dans les environs à la recherche d’jeunes désœuvrés. Jeunes qui pourraient potentiellement intégrer les rangs et sortir d’la galère ainsi que banditisme. Faut dire que j’étais aussi issu du bas-peuple, c’que les gens avaient rapidement tendance à oublier étant donné ma force qui faisait tout mon prestige un peu partout dans l’pays et surtout ici, dans la capitale. Sachant qu’ils n’avaient tout bonnement aucune chance d’me botter l’cul et qu’ils pouvaient finir six pieds sous terre, les agresseurs avaient commencé à paniquer d’où leurs diverses réactions. S’ils m’avaient vu arriver, ça aurait surement été la débandade ! Mais l’destin était parfois cruel, si bien qu’ils s’pensaient maudits à cet instant précis. Enfin…
Tous sauf leur chef…
- « Qu’est-ce qu’un commandant de l’armée fout dans les bas-quartiers ?! Si tu bouges, j’la plante ! »
- « Relax gars ! J’suis pas là pour vous chercher des embrouilles. En plus, t’sais bien que toi et moi on est pareils. On vient du même coin et on kiffe les mêmes choses. T’veux t’la faire non, cette p’tite bourge et son joli cul, non ? T’gênes pas, va. Parce qu’en plus d’pas avoir été payé depuis 3 mois, j’me vois pas m’bouger pour sauver une étrangère, hahaha ! »
Mes dires déstabilisèrent les bandits qui s’adressèrent des regards interloqués…
Avant d’commencer à rigoler et reprendre tout doucement la confiance. L’vent tournait en leur faveur.
Quant à moi, j’matais la pauvre étrangère entre leurs mains avec un regard communicatif.
Si elle voulait que j’lui sauve les fesses, elle allait devoir me montrer qu’elle en valait la peine…