[Quête] Et tu redeviendras poussière... [& Zei]

Incarnant parfaitement le rôle de la riche touriste menée par son guide, Shäan prit plaisir à découvrir la ville portuaire. Zei lui expliqua qu'il fallait se méfier de la qualité des produits vendu et elle hocha la tête. Il paraissait évident que l'entrée principale de la région de Sabliar était l'endroit idéal pour arnaquer les passants. Avec tant de passage, si la combine échouait une fois, elle pouvait marcher sur les trois suivants. La dame soupira intérieurement, sa boutique lui manquait un peu... Elle aimait voyager, découvrir et s'enrichir d'expérience et de biens uniques. Mais parfois, le calme de sa petite pièce à vivre lui manquait. Les parties de chasse avec Plume, les jus de fruits frais pressés et le confort de son immense lit aussi. Jetant un regard discret au borgne, elle se demanda un bref instant si elle l'y inviterait un jour.

Ses pensées furent redirigées vers un les ruines de Sha'Lu. Oui, la brune en avait entendu parler. Comme beaucoup d'Ezyloniens, elle était au fait de la légende selon laquelle Seaphyr avait ravagé l'ancien port pour se venger de ceux qui pillaient ses richesses. Où étaient-ce ses œufs ? La chasseuse ne se souvenait pas précisément des détails de cette histoire. L'ancienne ville engloutie par le sable l'intéressait presque autant que les trésors possibles qui s'y trouvaient encore. Sans doute, irait-elle un jour, peut-être même avec son actuel guide. Pour l'heure, il était trop tôt pour y songer.

Étonnement, la collectionneuse avait davantage peur de s'engouffrer dans les ruines que de foncer à Warmeran pour voler une pierre précieuse au milieu des pires bandits d'Ezylone. Était-ce dû à l'obscurité ? Au fait de se retrouver prise au piège sous terre ? Ou était-ce bien plus profond que ça ?... Cette pensée s'envola, laissée de côté pour plus tard, et laissa place à l'insouciance que lui procurait le fait de flâner dans une ville dont elle ignorait tout.

Ce n'est que lorsqu'ils évoquèrent enfin la suite de leur plan que la dame redevint plus sérieuse. Elle s'installa confortablement sur l'une des caisses de la carriole tirée par Plume et croqua dans un fruit local très coloré et riche en eau. La phase de réflexion fut rapide. Ils savaient tout deux que le moyen le plus sûr de trouver le collant capitaine était de passer dans les tavernes et auberges du port. À défaut, ils tomberaient bien sur un ou deux marins qui savaient où se trouvait leur chef. Dès qu'ils se furent mis d'accord, ils se mirent en route pour la première auberge.

La nuit était totalement tombée quand ils sortirent de la deuxième auberge tout aussi bredouilles que de la première. Shäan était agacée, mais faisait tout pour ne pas le montrer. Elle craignait de plus en plus de louper ce fameux rendez-vous alors qu'ils s'y étaient pourtant pris tôt. Il restait deux tavernes, à l'opposée l'une de l'autre. La brune tira une pièce d'or de sa bourse et souffla en la faisant tournoyer entre ses doigts :

- Pile, à droite, face, à gauche...

Zei était suffisamment proche pour qu'elle n'ait pas à donner le résultat à voix haute. Ils iraient à gauche. La taverne devant laquelle ils arrivèrent était plutôt élégante et il régnait, à l'intérieur, une ambiance chaleureuse. Une femme chantait depuis une petite scène, accompagnée d'un guitariste Sylvain dont la chevelure était parsemée d'étamines colorées. Le duo fascina brièvement la collectioneuse avant qu'elle ne repère des hommes dans le fond qui dégustaient un repas chaud. Shäan les montra au borgne avec un clin d'œil. Avant de s'y diriger tranquillement, elle souffla à son acolyte :

- Suivez-moi quoi qu'il arrive.

Une fois devant la table, un air affolé au visage, la brune s'écria :

- Je vous trouve enfin ! Nous avons embarqué l'un des instruments de navigation du capitaine sans faire exprès, et je sais à quel point il lui est précieux. Il faut absolument que je lui rende avant de quitter Sha'Lu, mais il est introuvable. Il faut que vous m'indiquiez où le trouver, je vous en prie !

S'ils semblèrent d'abord hésiter et s'interroger du regard entre eux, l'un d'eux finit par lâcher en haussant les épaules :

- S'ils ne lui rendent pas, l'un de nous risque d'être accusé de son vol. Je n'ai pas tellement envie de perdre ce boulot. Vous le trouverez derrière la boutique de l'apothicaire, il doit y rencontrer quelqu'un.

Jetant un regard satisfait à Zei, la dame remercia le marin et attrapa son guide par le bras en le tirant dehors. Elle jubilait trop pour se contenir plus longtemps. À peine sortie, elle explosa de rire et déclara, hilare avant de partir d'un bon pas dans la direction qu'on leur avait indiquée :

- Si j'avais pensé, ne serait ce qu'un instant, que ce serait si simple, j'aurais pris le temps de nous ouvrir une bonne bouteille de rouge en avance ! Cette histoire sera pliée avant que le soleil ne se lève. Ne traînons pas, des richesses insoupçonnées nous attendent.

La chasseuse soupira en réponse à la déclaration du borgne. Elle ne voulait pas penser aux potentiels ennuis que pouvait leur causer leur curiosité mal placée. Il était même possible que le capitaine ait totalement menti, et que ses entrepots soient vides... La brune voulait encore moins envisager cette hypothèse... Ils marchèrent en silence jusqu'au bâtiment que leur avait indiqué le marin et furent surpris de ne pas voir la plus petite étincelle derrière les carreaux, ni la plus petite trace de présence. Shäan fronça les sourcils. Elle n'aimait pas ça. Et si l'homme avait menti ? Qu'ils les avaient percés à jour depuis le début, et précipités dans un guet-apens ? À la proposition du Zei, la dame opine rapidement et le suivit à l'arrière à pas de loup. Mieux valait se montrer discret tant qu'ils ne savaient pas de quoi il en retournait.

Derrière la boutique, une fenêtre ouverte leur offrit le parfait point d'entrée. On n'avait pas idée de laisser de tels accès ouverts ! Son guide lui expliqua que les locaux profitaient de la fraîcheur de la nuit pour aérer... Ne pouvaient ils pas le faire en posant des grilles à leurs fenêtres ? M'enfin, elle n'allait pas se plaindre, cela leur facilitait grandement la tâche. Soupirant à la main tendue, la dame ne la refusa pourtant pas. Une fois à l'intérieur, elle remercia Zei et observa ce qui les entourait. Des instruments intrusifs, une table marquée par l'usage à laquelle des sangles étaient attachées. Tout cela ne lui disait rien qui vaille.

Shäan mit soudainement sa main sur la bouche de son partenaire. Elle entendait des voix dans la pièce adjacente. Elle fit signe à Zei de garder le silence et s'avança jusqu'à une porte entrouverte. La lumière qui leur parvenait était faible, sans doute une lanterne ou un objet similaire, et deux ou trois voix s'y donnait la réplique, leur silhouette dansant au milieu des ombres.

- Ce n'est pas ce qui était convenu ! Vous deviez nous livrer deux cents écailles de sirènes en parfait état, il n'y en a même pas la moitié, et je vous ai payé d'avance ! Non seulement, vous avez du retard, mais, en plus, la marchandise n'est pas là. Qu'est-ce que vous avez foutu durant tout ce temps ?

La voix du capitaine collant... La collectionneuse l'aurait reconnu au milieu d'une foule de l'avoir trop subie pendant la traversée. Le bougre n'avait pas l'air ravi. Une autre voix, grinçante celle-ci, lui rétorqua sèchement :

- Si vous croyez que c'est facile de se procurer ce genre d'article. Ce n'est pas vous qui prenez les risques, ça s'voit ! Vous croyez que ça m'amuse de chasser la baleine pendant que vous roupillez tranquille ?

- Je vous paie suffisamment pour ne pas avoir à subir ce genre de commentaire ! Rendez-moi la moitié de la somme et nous serons quittes. Je n'ai pas de temps à perdre avec des personnes qui n'honorent pas leurs engagements.

- Très drôle. Si vous pensez vraiment que je vais vous rendre cet or, mon ami, vous vous fourvoyez, haha ! Essayez donc de me le reprendre !

Il y eut un grand fracas et un hurlement qui s'acheva en gargouillement glauque. Shäan poussa précipitamment la porte et s'immobilisa en sifflant entre ses dents :

- Merde...

Le capitaine gisait là, une plaie béante au niveau du ventre qu'il tenait en gémissant. Le sol, déjà, rougissait de son sang. L'autre s'était enfui, laissant la porte de l'avant de la boutique ouverte en grand.

La déclaration de Zei la fit se crisper. Elle n'avait pas pensé à cela. Comme quoi un partenaire pouvait être utile ! Expirant tout l'air de ses poumons pour se vider l'esprit de tout remords pour ce qui allait suivre, Shäan se pencha vers le capitaine et vint susurrer à son oreille tout en fouillant ses poches délicatement :

- Je vous donne ma parole que cet acte ne restera pas impuni. Vous n'étiez pas un mauvais bougre. Vous avez simplement fait une erreur de jugement. Comme dédommagement de votre revanche, je me permets de vous alléger des biens que vous transportez à ce jour.

Ses doigts se refermèrent sur un trousseau de clés et un sourire carnassier étira ses lèvres alors qu'elle se redressait. Une main s'agrippa soudainement à son poignet, tentant de reprendre ce qui lui appartenait. La voix, un vulgaire gargouillis, fut accompagnée de postillons sanglants tandis que les yeux fous du capitaine s'ancraient dans les siens :

- Espèce... De sale... Voleuse... Vous... Vous le regretterez...

La brune se dégagea d'un geste brusque, dégoûtée qu'il ai osé poser ses mains sur elle. Elle le regarda un instant, entre écœurement et pitié, puis s'empara de sa dague et lui trancha la gorge. Même pas un merci ? Que ingrat ! Elle aurait dû lui arracher ses possessions sans lui accorder la moindre attention ou le laisser se noyer dans son sang. Nouveau soupir, Shäan rejoignit le borgne en soufflant :

- Il n'avait pas grand-chose sur lui, mais ce trousseau de clefs vaut sûrement quelque chose... Si vous connaissez quelqu'un capable d'en trouver les portes bien sûr. Dans le cas contraire, chercher les lieux qu'elles ouvrent pourrait s'avérer fastidieux.

Elle eut un dernier regard par-dessus son épaule avant de pousser la porte du fameux Apothicaire.

- Espérons qu'il ai vécu sans remords, car sa mort n'aura pas été des plus dignes.

Dans un sursaut d'angoisse résultant d'une vieille peur qui remontait à la surface, la chasseuse s'accrocha au bras de son guide et demanda à voix basse, les yeux fixant un point invisible droit devant eux :

- Promettez-moi de m'accorder une mort rapide s'il devait m'arriver quelque chose durant notre voyage... Une fin lente et douloureuse est le pire des sorts qu'on puisse se voir infliger.

Shäan n'avait pas pensé un seul instant que le borgne lui répondrait avec tant de sérieux. Non, elle s'attendait plutôt à l'entendre plaisanter sur la gravité de son ton puis à minimiser la situation. Une réponse d'une telle sincérité lui fit un drôle d'effet et elle pouffa lorsqu'il acheva sa tirade sur un ton plus provoquant. Elle le retrouvait bien là.

- Maintenant que cette histoire est réglée, que faisons nous ? Il nous faut louer un char des sables pour atteindre Saesru rapidement, mais je n'ai jamais conduit un tel engin. Surtout qu'il en faudrait un assez large pour que Plume et la charrette puisse y monter avec nous. Devons nous payer un guide ? Il saura sûrement mieux que nous où s'arrêter et quelle oasis ou chemin éviter. Cela me paraît plus prudent, et une occasion d'en apprendre plus sur la région. Qu'en pensez-vous Zei ?

Ils auraient pu voyager uniquement avec la Tulki et la charrette, ce qui était prévu initialement, mais cela les aurait ralenti. Avec un char des sables, ils pouvaient espérer réduire leur temps de trajet jusqu'à la prochaine ville de moitié. Tapotant sa lèvre inférieure du bout de l'index, la brune interrogea son partenaire :

- Que savez-vous de Saesru ? J'aime avoir des informations avant de pénétrer dans une ville et de me trouver en défaut devant ses habitants. Quant aux créatures, vous me parliez durant la traversée de vers des sables et de scarabang si je me souviens bien. À quel point sont-ils dangereux ? Sommes-nous assez équipés si nous avions à les combattre ?

Shäan écoutait tranquillement le borgne, curieuse et intéressée par ses réponses. Après avoir approuvé l'idée du char des sables, il prévint la dame qu'il ne valait mieux pas faire confiance à un quelconque guide par ici, sauf si l'on souhaitait finir dépossédé de ses biens. Néanmoins, elle restait persuadée que ce serait le plus pratique. Elle le provoqua donc gentiment :

- Vous pensez qu'un homme seul peux prendre sur l'avantage sur deux voyageurs aguerris comme nous ? Allons, Zei !

La brune nota les informations concernant la route qui les attendait en hochant la tête à plusieurs reprises. D'après lui, la route était plus ou moins sure à cause de sa fréquentation et le seul risque résidait dans les bandits qui avaient eux aussi connaissance de ces sentiers balisés. Et, à sa réaction, la chasseuse comprenait qu'il valait mieux cent fois des Ezyloniens que les monstres peuplant le désert. Ce n'était pas un brin rassurant et Shäan ne put s'empêcher de grimacer à l'idée de ce qui les attendait.

Ah, Saesru... La brune en avait entendu parler, comme beaucoup. La cité des esclaves libres. L'un des seuls endroits à l'heure actuelle où il faisait bon vivre si l'on avait pas été officiellement affranchi. Ils n'avaient, en théorie, absolument pas leur place là-bas. Mais c'était le seul moyen de faire le plein avant e poursuivre leur route. À priori, s'ils ne montraient pas d'intentions hostiles, ils auraient sûrement l'accord des autorités pour séjourner une nuit sur place. Du moins, la dame l'espérait. Pas que dormir à la belle étoile la dérange, mais un vrai lit, une fois de temps en temps, ça pouvait être sympa. Surtout avec quelqu'un pour le partager.

- Je vois, soupira Shäan en s'étirant, charmant tableau. Vous êtes sûr de ne pas vouloir prendre un guide ? Ou, à défaut, nous pourrions recruter un homme sachant manier un char des sables. Proposons-lui un beau salaire à la clef, qu'il ne recevra qu'à notre arrivée à Saesru, ça devrait l'encourager à ne pas nous trahir. Gagnons rapidement cette cité afin d'économiser nos ressources, restons-y une nuit. Cela devrait suffire pour récupérer de quoi repartir et nous reposer un peu. Enfin, seulement s'ils acceptent de nous laisser entrer...

La dame réfléchissait à mesure qu'elle parlait et elle mâcha soudainement dans un soupir :

- Si nous ne nous étions pas grillés dans la taverne de tout à l'heure, nous aurions pu y recruter un équipage pour nous conduire. Il va falloir faire ça à l'ancienne. Allons directement à l'endroit où sont mis en attente ces drôle de navire sur roues et voyons ce qu'on peut trouver sur place. Il sera toujours temps d'improviser si personne ne convient, qu'en pensez-vous ?

Tout en abordant son idée, la chasseresse attrapa sa gourde, et dès qu'elle eut fini de l'exposer, elle y but deux grandes gorgées avant de la tendre au borgne en déclarant avec un sourire :

- Je vous laisse me guider.