Boire un verre. [Feat les Abdos de Jarvis (et Jarvis, accessoirement)

Déholia se tenait devant la grande bâtisse des Stratus. La matinée commençait déjà à être entamée en ce jeudi ensoleillé. C'était ce jour qu'avait choisi Déholia pour rendre une petite visite à Jarvis pour qu'il lui donne les informations qu'elle n'avait pas eues la dernière fois. Et elle pourrait aussi partager ce qu'elle avait appris sur la mère de la petite.

Ainsi, toutes ces choses auraient dû la rendre enthousiaste, ou la préoccuper, à la limite. Mais certainement pas contraindre son visage à arborer une expression énervée. La raison ? Felipe et Edgar !! Ces imbéciles en apprenant qu'elle avait convenu d'un rendez-vous avec Jarvis pour discuter de ces fameuses informations, lui avaient rappelé que le change-forme lui avait proposé un verre. Ainsi, il s'était débrouillé pour que tous ses vêtements de civil rejoignent malencontreusement le linge sale de la caserne. Tous, sauf une merveilleuse robe jaune à motif fleuris qu'ils avaient achetés spécialement pour l'occasion.

Déholia faisait donc les cent pas, ainsi affublée de cette robe qui tombait à la moitié de ses cuisses, une cigarette entre les lèvres en train de se demander ce qu'elle allait dire au change-forme !!

En plus, c'était impossible de porter une arme avec ça ! Enfin, elle avait quand même glisser une dague à sa cuisse, attachée avec un discret fourreau en cuir. Edgar s'était moqué en disant que c'était presque vulgaire comme accessoire.

Jarvis ne tarda pas à arriver, et quand la soldate posa les yeux sur lui, elle réalisa qu'il était apprêté comme jamais elle n'aurait pu l'imaginer. Elle eut un sourire jaune quand il lui dit qu'ils s'étaient tout deux fait avoir. Mais elle fut un peu plus décontenancée, quand il lui lança que le bleu lui irait mieux. Du bleu ? Sérieusement ? Elle détourna brièvement le regard, en prenant comme excuse celle de jeter sa cigarette sur le côté.

— Ouais, on s'est tous les deux fait avoir, c'est peu de le dire.

Elle camouflait son embarras par des phrases courtes et légèrement froides. En revanche, quand il évoqua les informations à partager, le regard de Déholia termina définitivement de se parer de sérieux.

— Hm, en effet. Allons marcher, ouais. On pourra manger après. Tu connais le coin, j'imagine ? Je te laisse nous guider. 

Elle entendait par là, un coin calme où des oreilles indiscrètes n'épieraient pas leur conversation. Ainsi, une fois sur l'un de ces chemins, la jeune femme reprit la parole.

— J'ai rencontré la mère de Miuna. Elle est dans un couvent à Sahl. Tu le savais ? 

Déholia acquiesça sans répondre après que le Change-forme lui eût parlé de la mère de Miuna. Plus elle en savait, moins elle appréciait le patriarche Stratus. Qu'est-ce que ce salaud cachait ? Toute cette sévérité, ce rebut de la trahison à outrance, cette violence froide et sourde, ça cachait quelque chose.

Quand Jarvis proposa son bras à Déholia, ceci la tira de ses pensées. Elle s'empourpra légèrement en se tendant, avant de se raviser et de passer son bras autour de celui du change-forme. Elle se perdait tout le temps dans les rues Mystarcia quand elle était avec des gens. Et puis elle était plus proche de lui pour l'écouter. Ce qui évitait qu'il ait à parler trop fort et que ces dires tombent dans une oreille un peu trop curieuse.

Jarvis commença à lui parler de son passé de comment sa famille avait été massacré, son envie de vengeance. La femme regardait devant elle, les sourcils froncés. Quand le Change-forme s'excusa elle ferma brièvement les yeux pour chasser cela d'un geste de la main.

— T'inquiète pas. Je préfère que tu m'en dises trop que pas assez.

En réalité, cette colère, dont il parlait, n'était pas étrangère à Déholia. On avait massacré ses repères à elle aussi. Elle savait combien ce genre de chose devait être extériorisé et avait de l'importance. 

Ils arrivèrent à proximité d'une charmante fontaine, auprès de laquelle Jarvis s'assit, sur un banc, tout en invitant la jeune femme à le rejoindre et en lui lançant une petite pique. La croc passa une jambe au-dessus du banc et s'y assit, les jambes de chaque côté. Elle posa la main contre le bas de sa jupe pour préserver le peu de pudeur qu'une soldate pouvait posséder.

— Tu es conscient que je ne ferais pas trempette seule, pas vrai ?

Elle avait tenté un trait d'humour, mais il apparaissait clairement qu'elle n'était guère habituée à un exercice du genre. Aussi se contenta-t-elle de camoufler sa gêne par un sourire narquois.

En revanche, elle retrouva vite son sérieux en entendant la suite de l'histoire de Jarvis. Un riche marchand, pour le vendre à un gratte-papier de la Technopole ? Et c'est à ce moment qu'il avait rencontré Arnaud ?

— Quelle rapport entre ce marchand et Arnaud ? Il a fini le travail ? Parle-moi des circonstances de votre rencontre, après tu pourras aborder la partie complexe.

Si elle mourait d'envie de connaître les détails de cette fameuse "partie complexe", elle voulait avoir toutes les clés en main. Elle passerait au crible chaque détail.

— Parle-moi même des détails les plus insignifiants. Je veux tout savoir. 

Si Déholia avait eu de quoi écrire, nul doute qu'elle aurait sorti son calepin et sa plume pour prendre des notes. Cela dit, même des notes aussi simplistes, basiques que celles de Déholia aurait pu porter un énorme préjudice au change-forme. Mais, elle ne songeait pas tellement à tout ça, c'est juste qu'elle n'avait pas de quoi écrire.

À la place, elle sondait le change-forme, le regard ancré sur son visage, attentive à ses paroles et à ses expressions. Elle analysait tout ce qu'il lui disait à une vitesse faramineuse, dédaignant les informations qui ne lui étaient pas nécessaires. C'est pour cela, qu'elle resta de marbre face aux aveux concernant le passé criminel de Jarvis. Ce n'était pas important, tout ce qui lui importait, c'était ce manipulateur de glace. Il avait l'air d'un homme d'honneur, ou au moins avec quelques valeurs. Les Scorpions n'étaient pas des criminels sans foi ni loi, même ceux qui l'avaient fait combattre dans des arènes s'étaient parfois montré sympathiques. Le monde était plus vaste.

Arnaud aurait certainement pu être considéré comme quelqu'un de mauvais par la société. Mais, Déholia, n'y voyait qu'un homme qu'elle devait traquer, elle se fichait de si Arnaud était bon ou mauvais. Ce qui l'intéressait, c'était de cerner cet homme, de comprendre les rouages de sa personnalité, de son fonctionnement. Ce qui ressortait du discours de Jarvis, c'était un homme qui voyait de la valeur à travers les personnes et l'exploitait. Il n'avait pas laissé tomber Jarvis en réalisant qu'il n'était pas assez combattif, il l'avait réutilisé. Il semblait dur, mais doté d'une certaine perspicacité et de la faculté de jauger les gens. Déholia avait l'impression qu'il était le type d'homme à pouvoir connaître au premier regard l'utilité d'un individu. Plus qu'un bandit doué en magie, c'était un stratège.

Elle se mit à se pincer les lèvres. Elle suivit Jarvis du regard avec quelques secondes de retard alors qu'il s'était levé. Il ne disait plus rien d'intéressant par rapport à Arnaud.

Elle finit par se mettre en tailleur sur le banc à son tour, oubliant totalement comment elle était vêtue et révélant ainsi la dague accrochée à sa cuisse.

- Tu s'rais pitoyable ton sang aurait nourri les fleurs des Stratus.

Au moins, c'était dit.

- C'est bien de dire que t'veux protéger Miuna. Maintenant, fais-le.

Elle planta son regard dans celui de Jarvis. Elle n'avait plus l'air de la soldate un peu bourrue, gêné d'être en jupe.

Elle avait l'air d'une femme prête à tout pour sa mission. Son regard bleu brillait d'une lueur sombre.

- Le sésame, c'était la clé ? Qu'est-ce qu'elle ouvre ? Où est le coffre ? Visiblement, il n'est pas chez les Stratus si Arnaud s'est enfui avec. Tu sais ce qu'il y a à l'intérieur ? De l'or ? De la puissance ? Pourquoi le vieux était si paniqué ? Pendant que tu l'espionnais, tu n'as rien remarqué ?

Tout ce qu'elle demandait dépassait de loin les prérogatives d'un membre des Crocs. Elle le savait et son regard était là pour transmettre l'information à Jarvis.

Jarvis aurait eu tort de penser que Déholia ignorait tout de ses petites remarques sur le fait qu'il allait "avoir besoin d'un peu d'aide pour s'améliorer en tant que garde du corps". Seulement, ce n'était pas le moment pour y réagir, mais la soldate gardait le tout dans un coin de sa tête.

Elle ne réalisa pas, cependant, que le trouble de Jarvis était en partie lié à la manière dont elle était assise. Elle pensait qu'il était simplement mal à l'aise à l'idée de lui révéler des choses délicates. Elle acquiesça quand il mit l'accent sur le danger qu'il courait en lui révélant ces informations.

— Ne t'inquiètes pas. Je ne te mettrais pas en danger.

Au fond, elle se sentait coupable de le mettre dans une telle situation. Mais, les informations qui furent révélées balayèrent ses doutes. Elle serra les dents. Elle savait bien que ce Stratus était louche. Il y avait trois informations primordiales, d'abord le contenu du coffret. Ensuite, Belmerys. Et enfin, une change-forme lièvre.

Elle compilait toutes ses informations les unes après les autres et tentait de les relier entre elles. La question de Jarvis la sortit de ses songes.

Déholia acquiesça, laissant filtrer un sourire.

– Ça me va. Je t'invite. Tu veux aller quelques part en particulier ? Ça m'étonnerait que je ne connaisse pas.

Si elle avait laissé à Jarvis le soin de gérer leur petite balade, niveau bar, Déholia s'y connaissait. Mieux que personne. Et tout comme lui, elle avait bien besoin de se changer les idées. Elle se releva pour rejoindre Jarvis, jetant un coup d'oeil aux alentours. Elle glissa son bras autour de celui du Pan. Avant de souffler.

— C'est pour que ça ait bien l'air d'un rendez-vous si jamais tu as été suivi.

Les bonnes vieilles habitudes paranoïaques de Déholia avaient la vie dure. Tout en commençant à marcher, elle attendit que Jarvis lui indique où il voulait aller, avant de leur faire prendre des ruelles un peu moins fréquentés.

L'avantage d'avoir passé la moitié de son temps en patrouille ennuyeuses lorsqu'elle était recrue, c'est qu'elle savait reconnaître en un coup d'oeil le genre de ruelle que certains jeunes couples empruntaient pour avoir un peu d'intimité. Ainsi, si quelqu'un les suivait, il lui faudrait ralentir ou se dévoiler.