[Event 2] Les mystères d'Aequorea [& Ale ♥]

Alesya souffla quelque chose qui la fit sourire un tout petit peu plus. Elle avait raison. Quatre-vingt-dix-neuf pour-cent de son temps et de ses réflexions étaient tournés vers l'avenir, si bien qu'elle ne prenait jamais vraiment le temps d'apprécié le temps présent. Peut-être pouvait-elle faire une exception, juste pour aujourd'hui ? Arrêter de réfléchir et prendre du bon temps... Oui, ce devait être possible. Quand la dame lui demanda comment pouvait se manger le plat qu'elle venait de lui offrir, Alice haussa les épaules en déclarant :

- Aucune idée !

Par chance, d'autres clients avaient perçu leur désarroi et l'un d'eux s'avança en leur montrant :

- Regardez, vous prenez le bout entre vos lèvres, comme cela, puis vous aspirez en faisant tourner le support et...

Il y eut un slurp assez répugnant tandis que le met disparaissait dans sa bouche qui se trouva recouverte de sauce épaisse avant qu'il ne lâche victorieusement un "Tadaa !" en écartant les bras. La blanche dut se retenir de grimacer tant elle trouvait cela ridicule, mais elle s'y essaya tout de même. Prenant le bas de l'algue entre ses dents, elle commença à exercer une aspiration qui mena bien vite le végétal dans son gosier. La texture gluante, couplée au sirop de la sauce, était parfaitement savoureuse et elle ne put que soupirer de satisfaction avant de s'exprimer à ce sujet à l'intention de sa compagne du jour et de ceux qui leur avait montré la marche à suivre :

- C'est à la fois étrange et vraiment bon... Comment cela s'appelle il déjà ? Des spalghepiques ? J'aime bien.

L'autre touriste pouffa et approuva d'un mouvement de tête. Le trouvant sympathique, Alice décida qu'il était le parfait instrument de sa nouvelle résolution, aussi le questionna-t-elle avec politesse :

- Quelle est l'attraction que vous avez trouvée la plus plaisante jusque-là ?

L'homme caressa sa barbe naissante avant de répondre, pensif :

- J'ai trouvé les bulles mémoires très intéressantes, mais le plus marrant était sûrement la course de Hudestri. Ces bestioles sont impressionnantes ! Et quelle sensation grisante que de nager sur leur dos !

La femme qui l'accompagnait repris, amusée par l'engouement de son partenaire :

- Le poissonnier proche de l'artisan qui propose la peinture sur corail devrait vous plaire également, si vous êtes aussi gourmandes que moi. Oh, et vous pourriez finir par la grande scène ? De nombreux artistes s'y produisent, c'est époustouflant !

La dame hocha la tête et se tourna vers Alesya, s'enquérant sincèrement de son avis :

- Ce programme vous convient ?

Lorsqu'Alesya la prévint qu'il n'était pas dans ses habitudes de pratiquer ce genre d'activité, la blanche haussa les épaules, l'air de dire qu'il en allait de même pour elle. Après tout ce n'était pas bien grave de changer un peu. Tant que cela se limitait à quelques jours dans l'année et que ça ne retardait pas ses projets, du moins. Son interlocutrice la questionna sur leur première destination et Alice répondit en regardant un énième panneau :

- À priori, oui. Toutes ces indications nous éloignent du centre des festivités, en tout cas. Je ne pensais pas que nous reviendront près du palais. Il faut croire que nous sommes vouées à revenir sur nos pas pour mieux avancer.

Elle entendit la femme l'appeler, mais à peine s'était elle retournée qu'elle la vit se faire emporter par un Hudestri non harnaché qui l'entraîna un moment vers la surface avant de l'expulser droit dans... Une vitre du château qui céda sous l'impact. Alesya disparu à l'intérieur dans un cri et Alice se précipita vers l'immense monument, inquiète. Il y avait trop de gardes pour qu'elle puisse entrer ni vu ni connu, et, dans tous les cas, il ne valait mieux pas. Interpelant l'un d'entre eux, la technologue expliqua brièvement la situation. Celui-ci, ayant bien du mal à la croire, lui demanda d'attendre et fila au pas de course.

Alice ne sut pas vraiment ce qui était advenu, mais Alesya fut ramené par six Müses armées jusqu'aux dents et visiblement peu enchantés d'avoir à réparer les bêtises d'une touriste qui n'avait même pas l'air de participer à la chasse. Ils la jetèrent au-devant des grandes portes en déclarant, à deux doigts d'exploser :

- Ça ira pour cette fois, mais qu'on ne vous y reprenne pas !

Le plus jeune, celui à qui Alice avait demandé des informations, lui fit un discret signe de la main. Son témoignage avait sûrement aidé à faire relâcher la femme, aussi la blanche lâcha t'elle avec un demi-sourire en tendant la main à Alesya:

- Je crois que nous sommes quitte cette fois. Quelle histoire ! Voulez-vous reprendre notre programme, ou marquer une pause le temps de récupérer de cet imprévu ?

Elle ajouta plus bas, presque admirative :

- Je ne sais pas ce qu'ils y cachent dans ce palais, mais pour le protéger aussi férocement, ce ne doit pas être commun !

Alice haussa les épaules à sa remarque. Chacun avait sa façon de faire, le principal, c'est qu'elle n'ait pas été accusée à tort. Elles reprirent leur route, comme si rien ne s'était passé. Pourtant, la technologue continuait de se questionner sur la réaction des gardes. Avec le festival et les innombrables touristes présents, il était évident qu'ils avaient de quoi faire, mais de là à emprisonner le premier venu alors même que celui-ci avait une bonne raison et ne se montrait pas hostile ? La dernière remarque fit écho dans l'esprit de la chercheuse et elle souffla :

- Ou alors vous êtes tombée sur la garde rapprochée de la princesse. J'ai entendu dire qu'ils la séquestraient dans ce palais parce qu'elle était née sans magie. Enfin, ce ne sont sûrement que des racontars qu'on aura exagérés, voire même de parfaits mensonges. Mais... Si c'était vrai, je n'aimerais pas être à la place de cette enfant. Mieux vaut vivre et apprendre que de rester dans une cage dorée, selon moi.

Un long soupir vint étirer un instant la fine membrane du têtenbulle puis la blanche déclara en montrant un carrefour :

- D'après le panneau que nous avions vu, la bulle mémoire doit se trouver dans cette direction. Il faudra quitter la bulle principale, la navette serait le transport le plus sûr, et le moins fatiguant. Toutefois, si vous vous sentez de nager une dizaine de minutes en dehors de cette protection, nous pouvons aussi bien nous épargner l'attente de ce fameux carrosse.

Alice ne gardait pas un bon souvenir de son trajet de la Technopôle jusqu'à Bubble-City. Cet espace réduit où s'étaient amassé un tas d'inconnus crasseux se collant à elle l'avait même complétement dégoûté et elle avait dû se pincer le nez pour ne pas vomir. Peut-être celle qui amenait à la Bulle mémoire serait elle moins remplie ? Si c'était le cas, la jeune femme voulait bien laisser une autre chance à cette ingénieuse invention. Se tournant vers Alesya, la scientifique lui posa deux questions qui lui brûlaient les lèvres, le regard brillant de sérieux :

- Quelle serait l'invention qui révolutionnerait le monde selon vous ? De quoi Ezylone aurait il besoin qui n'existe pas actuellement ?

Quitte à nager pendant des heures, autant exploiter ce temps-là aussi. Sa nouvelle connaissance pouvait avoir un point de vue tout à fait unique et innovant sur Ezylone. Après tout, elles n'avaient pas vraiment l'air d'avoir reçu la même éducation, ni même d'avoir grandi dans les mêmes circonstances. Toutes ces différences pouvaient amener à des états d'esprits et un développement personnel parfaitement opposé.

Alice ne put réprimer un sourire face à la tirade de sa convive. Il est clair que, jusque-là, elles n'avaient pas eu beaucoup de chance. Il était donc sûrement plus judicieux de compter sur elles-mêmes plutôt que sur une aide, ou facilité, extérieur. Elles se mirent donc en chemin à grands renforts de mouvements de jambes et de bras dont la technologue sentait déjà qu'elle en tirerait des courbatures douloureuses. Ses questions semblèrent la surprendre, mais Alesya y répondit avec sincérité. Ses préoccupations étaient juste, et son raisonnement, fort apprécié. D'un soupir, la blanche ralentit un peu pour répondre, ou plutôt souffler sa réflexion à voix haute :

- L'essence de votre magie vous rend peut-être plus sensible à ce qui n'est plus. Je ne suis pas sûre que la science puisse vous aider dans cette voie, mais je creuserais la question, par curiosité. J'aurais tant de questions à vous poser à ce sujet que je ne saurais par où commencer. Mieux vaut garder ça pour plus tard.

Elle chassa sa curiosité d'un mouvement d'épaule et accéléra pour rattraper la nécromancienne avant d'ajouter :

- Pour ma part, je crois qu'un mode de transport rapide donnerait à Ezylone un nouveau souffle. Je l'imagine aérien. Les aéronefs sont trop coûteux et fragiles pour traverser les régions, mais un appareil plus petit, et dépourvue de voile ou de ballon, qu'une attaque pourrait facilement mettre à mal, offrirait des opportunités de se déplacer plus fréquemment et surtout plus rapidement. Qu'en pensez-vous ? Imaginez traverser Sahl en moins de deux jours, vous pourriez alors aller de la Technopôle à Jañgala en seulement trois jours, ce serait incroyable ! Cela ouvrirait de nombreuses opportunités de commerce et de développement jamais explorées jusque-là !

Elle remarqua qu'elle n'avait pas même laissé son interlocutrice lui répondre et s'excusa d'une grimace. Elles arrivaient à la limite que le bouclier couvrait et Alice s'exclama, inquiète :

- C'est là que ça devient drôle. Toujours décidée à faire la traversée à la nage ? Nous pourrions en profiter pour aller observer les fonds marins, qu'en dite vous ? J'ai rarement l'occasion de flânner au fond de l'océan, et qui sait, nous tomberont peut-être tout à fait par hasard sur un de ces fameux œufs qu'il nous faut détruire pour la prospérité.

Sa phrase arracha une grimace à Alice. Chercher la gloire ? Même si elle aspirait à un minimum de reconnaissance, pouvait-on vraiment dire qu'elle courrait après la gloire ? Peut-être un peu, oui... Mais pas pour la destruction de trois œufs dont elle ignorait les réelles conséquences sur la biodiversité maritimes de Mü. D'un soupir, elle lâcha, mi-figue, mi-raisin :

- Je vous remercie. Il est rare, ces derniers temps, de trouver du soutien chez des tiers. Je me sens flattée de faire partie de ces quelques privilégiés.

Elle exagérait le trait, bien sûr. Mais satisfaire le désir humain ? Vraiment ? N'était ce que cela, pour Alesya ? Car pour la technologue, il s'agissait de bien plus qu'une question de désir. Il en allait de l'évolution, de l'avenir d'Ezylone, d'un champ de possibilités infinies qui ne demandait qu'à être découvert... Les désirs de ses confrères, et des autres, elle s'en fichait bien, tant qu'ils n'interféraient pas avec ses projets, ils lui importaient peu. La remarque de la femme la ramena au présent et Alice souffla froidement, plus pour elle-même qu'à l'intention de sa compagne d'aventure :

- Si vous partez défaitiste, ça ne risque pas de bien se passer, c'est sur...

Elles quittèrent Aequoria après des vérifications standard et s'enfoncèrent bien vite dans l'immensité de Mü. Enfin, vite... N'était peut-être pas vraiment le terme. Elles n'étaient rapides ni l'une ni l'autre. Au moins avançaient elles à un rythme constant. Alice vit soudainement briller quelque chose dans le sable et lança à la nécromancienne :

- Attendez un instant, j'ai cru voir quelque chose !

Elle piqua du nez vers les profondeurs et donna de grands coups de jambes, jusqu'à frôler le fond de l'océan. Se stabilisant, elle bougea doucement la vase et les grains de sable pour ne pas créer un énorme nuage qui brouillerait leur vue. Elle parvint à extraire un drôle de pendentif noué à une jolie chaîne. Les coquillages s'étaient accrochés dessus, et le roulement perpétuel de l'océan avait effacé une partie des détails, mais la technopolitaine lui trouvait un certain charme. La perle immaculée du pendentif était sertie dans une cage de fins segments d'or représentant des coraux et Alice souffla :

- Elle est un peu comme la princesse... Elle pourrait briller si on lui laissait une chance, mais on préfère dissimuler son éclat.

Passant le pendentif autour de son coup après l'avoir décrassé un peu, elle remonta vers Alesya et lui montra en la questionnant :

- Pensez-vous qu'il serait possible de retrouver son propriétaire ? C'est une magnifique création, sans doute unique. Elle doit manquer à quelqu'un !

Pourquoi s'impliquait-elle toujours autant pour les autres ? Ce n'était pas la première fois, déjà, avec Nedjra, elle s'était sentie obligée de lui apporter son aide. Enfin, pas vraiment obligée, mais... une petite voix dans sa tête lui avait soufflé que c'était la chose à faire, et la jeune femme s'était laissée convaincre. Ses doigts effleurèrent la surface lisse de la perle. Son contact avait quelque chose de rassurant. Sa régularité peut-être ? Ou le fait que l'océan n'ait pu l'engloutir comme il avait rongé les chaînons...

- Je demanderais aux gardes d'Aequoria s'ils peuvent m'indiquer l'artisan qui l'a façonné lorsque nous y retournerons, en espérant qu'ils ne me prennent pas pour une voleuse. Il doit nous rester à peu près la moitié du chemin. Regardez là-bas, vous pensez que c'est la bulle qui produit cette lueur ?