Baleine sous gravillon [Quête avec Mahal]

– Lieutenant Sheïka, réveillez-vous, le ca-

Une bouteille se brisa juste à côté du visage de la pauvre recrue. Sortant d’une pile de paperasse plus grosses qu’un cuissot de Tulki, Déholia lança un regard noir, au garçon livide éclaboussé par de la vinasse de basse qualité.

– TU VEUX PAS BRAILLER PLUS FORT TANT QU’ON Y EST ? Pourquoi tu me déranges ?!
– P-p-pardon, chef ! I-i-il y a...
– MAIS ARRÊTE DE FAIRE DES PHRASES SI TU SAIS PAS COMMENT PARLER ABRUTI!
– Antimagia ! Nouvelle source ! Bureau du capitaine !
– ET TU POUVAIS PAS LE DIRE AVANT ?!
– Mais... chef!

Déholia passa à côté du garçon, le bousculant sans ménagement. Sans attendre plus longtemps, elle se rendit dans le bureau de son supérieur qui la réprimanda sur sa tenue et son comportement en tant que Lieutenant et ses responsabilités. Avant de lui annoncer qu’elle allait devoir enquêter sur les agissements des membres d’Antimagia et qu’elle aurait avec elle, la source d’information qui souhaitait également participer à l’enquête, une certaine Kujira.

– Super, encore une qui, parce qu’elle a trois tuyaux, veut se la jouer super-héros.

Et un change-forme recommandé par la directrice de l’académie magique.

– GÉ-NI-AL. Un boutonneux en robe. Et j’ai quoi comme hommes sous la main ?
– Personne. Vous serez seule durant cette mission, ces cafards de l’Antimagia ont défait toutes nos tentatives d’enquêtes. On a besoin d’une autre stratégie.. Vous avez une réputation qui vous précède, Sheïka. Ceux qui ne sont pas de la hiérarchie ne penseront jamais qu’on vous confie une mission de cet ordre-là sérieusement.
– En gros, j’ai une grande gueule et pas de magie, donc, personne me considérera comme une menace sérieuse, c’est ça ?

L’homme resta muet, confirmant les dires de la blonde. Elle pesta avant de suivre un officier qui l’emmena dans une petite pièce où attendait une jeune femme portant un bandeau sur les cheveux. Les mains dans les poches, ses armes qui cliquetaient et tapaient contre ses hanches.

– Salut, je suis Déholia. La croc qui va enquêter avec toi. L’autre indic est toujours pas arrivé ?

Plus ça allait, plus Déholia trouvait que sa hiérarchie semblait n’en avoir rien à carrer de ce problème d’espion. Il fallait vraiment tout faire dans cette merde de ville.

- Maaaaaawww !
L'officier leva les yeux de sa paperasse, fronça les sourcils, avant de rabaisser la tête.
- Maaaaawww !
L'officier se redressa, regarda autour de lui, puis reprit son travail.
- Maaaaaaawww !
L'officier se leva d'un bond, passa de l'autre côté de son bureau, prêt à engueuler celui ou celle lui faisant une blague en imitant des miaulements.
Il se figea en découvrant Mahal assis juste devant son bureau, une lettre cachetée du sceau de l'école de magie de Mystarcia dans la gueule.
Le chat noir fixa l'officier de ses yeux jaunes.
- Maaaww.

Enfin, les choses avaient l'air de bouger.
Mahal était un peu déçu que ce ne soit pas grâce à son réseau de surveillance féline installé sur presque toute la ville, ni grâce à une découverte personnelle - il avait sa fierté - mais il n'allait pas faire la fine bouche !
C'était Gunhild en personne qui était venue le trouver, lui apprenant qu'un indicateur s'était présenté à la caserne avec de bonnes infos sur Antimagia. Rien n'avait filtré, mais c'était assez sérieux pour justifier une enquête et une réaction plus sérieuse.
Donc Mahal s'était rendu à la caserne en tentant de faire le tri dans ce qu'il savait, et sans se laisser emporter par son excitation.

L'officier l'amena jusqu'à une porte, le fit entrer sans le présenter.
Mahal s'assit au sol, juste devant les deux femmes, l'une portant l'uniforme des Crocs - blonde et un peu... débraillée ? - et l'autre aux cheveux roux en bataille maintenus par un bandeau, vêtue dans des habits de ville passe-partout.
Ce serait elle, l'indicateur ?
Le chat noir cligna lentement des yeux.

- Bonjour. Nous sommes au complet, j'imagine ? Et si nous commencions ?

L’indic, s’était contenté de saluer Déholia brièvement avant de faire non de la tête. Jusqu’à ce que la porte s’ouvre sur un nouvel officier, seul. Déholia allait lui hurler « OÙ EST L’AUTRE BOLOSS EN POILS ET ROBE ?! », quand une voix sortit de ses genoux. Déholia baissa les yeux et fit les gros yeux.

Elle avait vu des change-formes. Sous différentes formes, dans différentes situations. Mais jamais, elle n’avait eut une expérience aussi singulière. Il y avait ce matou, assis tranquillement au milieu de la salle, qui leur demandait si, ils pouvaient avancer.

Déholia s’approcha et plia les genoux et courba le dos pour être à peu près à sa hauteur.

– T’es bien un change-forme ? Pas un matou qui parle ? Pourquoi tu reste en matou ?

Un raclement de gorge fit tourner la tête à Déholia. La jeune femme semblait commencer à perdre patience. Si elle était aussi surprise que Déholia, elle semblait concentrée sur son objectif. Déholia se releva en se massant l’arête du nez.

– Bon, alors c’est quoi ces infos ? Et t’es qui surtout ?

La jeune femme s’éclaircit la gorge.

– Mon nom est Kujira. Les informations que j’ai acquises concerne un vendeur de poisson qui transmettrait les informations que les partisans d’Antimagia recueillent au reste de leur organisation. Il se nomme Nathaniel, c’est un triton qui a une étale près du port.

Le port étant relativement éloigné de la caserne, Déholia soupirait déjà à l’idée de devoir réquisitionner un chariot et un tulki. La soldate se tourna vers le chat.

– Et toi, Coussinet, ça correspond à tes infos ? Fin. J’suppose t’es un indic aussi si t’es envoyé par les boutonneux en robes.

Tout en disant cela, elle interpella d’un signe de la main un autre officier pour lui demander de préparer un chariot et un tulki.

Il s'était un peu attendu à la surprise que son arrivée allait provoquer.
Change-Forme peut-être, mais il savait que son pouvoir n'était pas aussi fort que celui de ses congénères, le mettant un peu à l'écart du lot.
Il sourit en soutenant le regard de la Croc qui l'observait avec des yeux ronds, et une lueur clairement malicieuse faisait briller ses yeux lorsqu'il lui répondit :

- Il y a une différence ?
Je vous taquine. Je suis les deux. Un Change-Forme, et juste un chat qui parle. C'est tout. Mon nom est Mahal, en passant. Et vous ?

Il avait déjà largement de quoi faire avec sa situation actuelle, alors il n'allait pas en plus se créer davantage de problèmes en cherchant à développer son pouvoir pour obtenir cette fameuse forme bipède qui semblait causer beaucoup d'ennuis à ses congénères Change-Formes.
L'autre femme semblait moins impressionnée, et ramena la discussion sur le sujet qui les amenait ici.

Le chat noir retrouva tout son sérieux.
Le port, hein ? Et un receleur d'informations pour Antimagia ? C'était un gros poisson, qui pourrait leur permettre de déficeler tout le réseau d'agents cachés dans la ville... s'ils la jouaient finement !
Il n'était pas surpris, du coup, de ne pas avoir pu le découvrir par ses propres moyens : le port était un endroit où circulaient des centaines de bipèdes venus du monde entier, tous plus bizarres et bigarrés que les autres, et les rares chats de gouttières, bossant pour lui dans ce secteur, savaient encore moins que les autres comment différencier un comportement suspect chez les bipèdes.
Tout à ses réflexions, le chat noir mit quelques secondes à s'apercevoir que la soldate lui avait posé une question :

- Hum ? Ah... c'est la première fois que j'entends parler de ce receleur d'informations sur le port. Mais ça fait sens, vue le bordel que c'est là-bas, c'est un bon endroit pour cacher ce genre d'activité sous le manteau.
Ça a juste l'air d'être un receleur par contre ? Si on arrive à le mettre sous surveillance, on pourrait trouver des pistes pour identifier quelques suspects.

Il s'adressa ensuite directement à la dénommée Kujira :

- Vous l'avez repéré comment, ce triton ?
Et, si ce n'est pas trop indiscret, pourquoi vous vous engagez activement dans cette enquête contre Antimagia ?

Mahal tiqua un peu en entendant parler de chariot... et de Tulki.
Bon, c'était surtout le Tulki qui l'avait fait tiquer.
Approcher un prédateur aussi gros... l'idée ne le plaisait qu'à moitié. Surtout un prédateur aussi opportuniste, qui pouvait très bien voir un chat comme un encas providentiel.

- C'est obligé, le Tulki ?

Nerveux ? Lui ? Pffff ! Pas du tout !

– C’est noté, Coussinet, moi c’est Déholia.

Il avait l’air marrant ce chat, c’était une bizarrerie comme on en croisait peu mais il avait l’air amusant. Et efficace. Déholia resta muette en écoutant l’échange. C’est vrai que le port faisait loin, que ça fourmillait de gens et que c’était le lieu parfait pour receler des informations.

Tout en se mettant à rouler une cigarette Déholia répondit distraitement à Mahal.

– Le mettre sous-surveillance ça demande du temps et des moyens. Et j’sais pas si t’as remarqué mais je suis la seule de l’armée, ici. Donc, les moyens on a pas.

Elle passa la langue sur la partie collante du papier.

– Et je déteste perdre mon temps.

Après ça, elle laissa l’indic répondre à la question bien pensée de Mahal.

– Je suis journaliste, c’est mon travail d’obtenir des informations. J’ai interrogé de nombreuses personnes qui m’ont signalé que la clientèle du triton était parfois étrange. En creusant plus, j’ai découvert que les cargaisons étaient destiné à un cadre d’Antimagia. Malheureusement, pour me frotter à un aussi gros scoop, il me fallait une protection.

Déholia soupira en crachant sa fumée.

– Su-per. Mademoiselle écrit un torchon et veut se la jouer enquêtrice.

En un instant, la rousse se retrouva plaquée contre le mur, une lame sous la gorge et le visage de Déholia à quelques centimètres du sien.

– Gamine. Si tu veux tant ton papier, tu ferais bien de te préparer à ce que ton nom figure avec ceux des autres macchabés. C’est ça, la réalité des organisations criminelles.

Elle lui cracha sa fumée au visage avant de reculer. Déholia rangea d’un geste expert la dague qu’elle avait dans la main, dans le fourreau dissimulée dans sa manche.

– Qui plus est, maintenant que tu m’as filé les infos je pourrais tout aussi bien mené l’enquête avec Mahal. Pourquoi on aurait besoin de mademoiselle Gratte-Papier ?

La rousse qui s’était tenu la gorge et appuyé contre le mur pour ne pas s’effondrer lança un regard noir à Déholia.

– Parce que, j’ai beaucoup d’informations, et que je vous en donnerais d’autres. Mais au compte goutte, pour me rendre utile.
– Oh, donc tu me caches des informations ? C’est pas très légal, ça...
– Mettre un couteau sous la gorge d’un témoin non armé l’est-il plus ?

Déholia serra les dents, le visage crispé par la colère. Elle cracha un nouveau nuage de fumée avant de se diriger vers la sortie.

– Ouais, c’est obligé Coussinet. On va même te faire courir devant pour qu’il avance plus vite.

D’un violent coup de pied elle ouvrit la porte à la volée avant de se diriger vers l’étable où le Tulki et le chariot devait être préparé. C’était un beau spécimen.

– Eh, beh. Je suis sûre qu’on peut mettre quatre Mahal dans sa gueule à lui.

Elle se retourna vers son duo d’acolyte, avant de sauter sur le chariot.

– Allez grimpez, on verra comment on procède sur le chemin. Enfin, j’imagine que vous vous doutez de ma méthode. Mais je suis pas fermée aux autres idées. D’une pichenette elle jeta sa cigarette sur le sol.

Déholia avait l'air franche, et Mahal se dit qu'elle lui plaisait assez, lui rappelant dans ses manières certains chats des rues de sa connaissance.
Il ne releva pas la remarque sur le fait qu'ils "manquaient de moyens pour une surveillance" car il préférait garder pour lui son réseau tout félin. Peut-être qu'il en parlerait plus tard, si la piste de ce marchand triton sur le port était véritablement sérieuse...
Mais les bipèdes avaient-ils vraiment besoin de connaître ce genre de détails ?

Leur indic lui répondit qu'elle était journaliste, et que c'était pour elle une enquête pour un article. Le chat noir trouvait ça un peu inconscient, de chercher une organisation terroriste - qui n'hésitait pas à mettre en danger des enfants et avait déjà plusieurs attentats et victimes à son actif, s'il fallait le rappeler - juste pour écrire à leur sujet.
Et écrire quoi d'ailleurs ? S'attendait-elle à décrocher une interview ?

Mahal se contenta d'être spectateur de l'échange qui suivit entre Déholia et Kujira.
La soldate était aussi impulsive...
Leur indic semblait tout aussi surprise, voire un peu dépassée, mais il sembla au chat noir que quelque chose brillait dans la main de la femme alors qu'elle se retrouvait plaquée contre le mur...
Ah.
Peut-être pas tant dépassée que ça.
Sa démonstration terminée, Déholia sortit en plaisantant sur le Tulki. Du moins, Mahal espérait que c'était une plaisanterie, et qu'elle n'allait pas vraiment exiger qu'il serve d'appât à la bestiole...

Le chat offrit un sourire d'encouragement à Kujira :

- J'espère que l'on trouvera ensemble des informations utiles sur Antimagia. Au moins, l'enquête en elle-même promet quelques rebondissements, avec ce membre des Crocs...
Vous allez bien ?
- Oui... ne vous inquiétez pas. Merci.
- Avant de partir... je comprends pourquoi vous gardez certaines informations pour vous. Je n'apprécie pas vraiment non plus, mais je peux le comprendre. Juste... faites attention à ne pas garder d'informations qui pourraient nous éviter de gros problèmes. Je ne suis qu'un chat, après tout, dans ce trio, alors Antimagia se tournera sûrement vers vous et Déholia en cas de pépins. Si on secoue un peu trop le nid de guêpes par exemple.

Kujira hocha la tête, sans rien ajouter de plus.
Mahal s'en contenta et ils rejoignirent en silence Déholia jusqu'à l'étable.
A la vue de l'énorme Tulki, les poils du Change-Forme se dressèrent sur son dos. Il en était sûr à présent, il n'aimait pas ces bestioles ! Surtout quand elles le regardaient comme ça, avec leur air perpétuellement sournois !
Mahal sauta dans le chariot sans attendre, pour mettre au moins un bout de bois et de tissu entre lui et l'animal qui tirait le chariot. Il se coucha juste derrière Déholia, tandis que Kujira la rejoignait à l'avant.

- En route donc. Le port n'est pas à côté. Surtout en chariot. Mais... vous êtes certaine de devoir rester en uniforme ? Une autre tenue serait mieux, non ?

Mahal réfléchit intensément.
Il était clair que Kujira ne leur faisait pas confiance - vue ce que Déholia lui avait fait avec sa démonstration, pas étonnant - et, en leur cachant certaines informations, elle les mettait peut-être tous en danger...
Sans parler de ce qu'il avait peut-être reconnu comme une fausse impuissance chez la journaliste...
Le chat noir ne savait pas trop comment faire pour l'instant, mais il allait essayer d'amadouer Kujira.
Si Déholia jouait à la méchante flic, il pouvait bien essayer d'endosser le rôle du gentil flic.

Une fois sur le chariot, Mahal se mit à roucouler derrière les deux femmes. Kujira se tenait un peu à l'écart de Déholia pour des raisons évidentes. Soudain, le chat souleva une problématique qui fit se crisper Déholia, comment diable n'y avait-elle pas pensé ? Puis, Kujira en rajouta une couche.

- Et puis, il ne faut pas oublier que les espions d'Antimagia connaissent peut-être l'identité de certains Croc. Et si je ne m'abuse vous avez, une certaine... réputation.

La rousse devint encore plus livide qu'elle ne l'était déjà quand Déholia tourna lentement la tête vers elle, en lui lançant un regard qui disait "Je vais t'arracher la langue et la donner au Tulki". Néanmoins, la soldate se contenta de soupirer en se massant les tempes. Aussi énervant que cela puisse l'être, cette journaliste au rabais n'avait pas tort. Son nom et son visage était connu. Encore plus depuis l'incident avec les Stratus. Elle se massa les tempes pour trouver une solution, quand Kujira reprit la parole.

- Si vous voulez... J'ai peut-être une solution.
- Oui, bin, vas-y, parle au lieu d'entretenir ton suspens.
- Ahem... Il y a cette alchimiste, Ursula, qui concocte, selon les rumeurs, une potion de métamorphose. Peut-être que cela serait une bonne option.

Elle était sérieuse ? Une potion de métamorphose ? Mais, elle vivait dans un conte de fée ? Bon, à bien y réfléchir, il y avait un chat qui parlait derrière elles, donc, on était plus à une excentricité prête. Déholia se massa l'arrête du nez, en soupirant.

- Bon, puisqu'on a pas le choix... Et toi, Coussinet t'en pense quoi ?

Dans le même temps, Kujira indiqua à Déholia l'endroit où se trouvait l'atelier de cette fameuse Ursula, C'était en bordure de la ville, du côté Jungle. Autrement dit, encore plus éloigné des docks qu'ils ne l'étaient déjà.

Après que Mahal eut accepté, la Croc fit claquer les rennes pour lancer le Tulki à travers la ville. Le chariot et la bête traversèrent les rues à une vitesse faramineuse, la blonde passait à travers les rues presque sans s'arrêter que cela plaise ou non. Plusieurs vociférations et secousses plus tard, le trio arriva enfin à sa destination. Le Tulki s'écroula de fatigue d'avoir ainsi cavalé à travers la ville.

- C'bien mon gros, tiens, va boire un coup et pionce, la fête est pas fini.

Elle défit les rennes pour aller l'accrocher près d'un petit abreuvoir où il pourrait se désaltérer. Une fois cela fait, Déholia retourna auprès de ses camarades de fortune. Kujira les mena jusqu'à la petite bâtisse qui servait d'atelier à Ursula. En entrant, Déholia retint un haut le cœur. La pièce était dans un état lamentable - pire que la caserne des crocs après un entraînement arrosé, des fioles jonchaient chaque élément de mobilier et celles qui n'avait pas de place sur ceux-ci allaient jusqu'à envahir le sol. Les fenêtres étaient fermées, calfeutrée, une odeur abominable mélangeant, renfermé, urines (oui, au pluriel), et d'autres effluves de mélanges douteux envahissait la pièce.

Une forme se déplaça à travers les quelques bougies qui éclairait la pièce. Dévoilant une vieille sirène au nez crochu et aux cheveux gras, amalgamés en nœud.

- Qu'est-ce que vous faite là ! J'veux pas de tapis !
- Mais non vieille peau ! On vient pour ta potion !
- De la lotion ? Non j'veux pas de lotion non plus !

Déholia perdit son calme.

- MAIS VIEILLE CARNE CONCENTRE TOI ON VIENT POUR TA POTION DE PUTAIN DE MÉTAMORPHOSE !
- Aaaah, la potion ! Fallait le dire tout de suite ! Pas besoin de hurler des insanités !

Déholia n'en revenait pas, elle jeta un regard à Kujira qui dût sentir un nouveau frisson parcourir son échine tant Déholia lui en voulait de l'avoir fait venir ici.

- Bien bien, la potion, oui. Elle est juste là.

Elle pointa un énorme chaudron dans lequel clapotait une substance verte qui émettait une lumière lugubre, absolument pas rassurante.

- Malheureusement, je n'ai plus du tout de nectarium et il m'en faut absolument pour finaliser la préparation.
- Du nectarium ?! MAIS C'EST UN ENFER A TROUVER !!!
- Mais non, pas un aquarium, du NECT-A-RIUM ! Faut s'déboucher les oreilles de temps en temps mon garçon !

Déholia convulsait presque de colère. Elle se tourna vers ses deux acolytes, la lumière verdâtre se reflétant sur son visage et donnant un air encore plus terrible à son visage crispé par l'agacement.

- Vous avez une idée d'où trouver du nectarium, vous ?
- Ah oui, j'veux bien un peu de rhum, mon grand !
- TOI LA POISCAILLE TU LA FERMES ! ET JE SUIS PAS UN GARÇON !
- Ah, pardon jeune homme... Qu'est-ce que c'est fougueux et susceptible à c't'âge dis donc.

Déholia grogna, exaspérée, en tournant le regard vers ses acolytes. Elle leur fit comprendre que ; soit ils quittaient rapidement cet endroit, soit il faudrait expliquer pourquoi leur Tulki avait succombé à une intoxication alimentaire après avoir dévoré une sirène, entière. Et, elle leur fit comprendre tout cela, seulement avec son regard.

Mahal avait accepté l'idée de Kujira d'aller voir une vieille alchimiste pour une drôle de potion sans trop hésiter. Déjà, une potion de métamorphose, il avait hâte de la voir pour y croire. Ensuite, c'était suffisamment tarabiscoté pour pouvoir marcher. Et enfin, appuyer une idée de Kujira était un bon moyen de gagner doucement sa confiance. A terme, elle leur fournirait peut-être des informations qu'elle gardait cachées par méfiance envers eux.
L'affaire entendue, Déholia lança le Tulki à toute berzingue dans les rues de la ville.

Le chat noir installé à l'arrière du chariot aurait bien aimé profiter du trajet pour réfléchir, refaire sa toilette, causer un peu avec Déholia ou Kujira peut-être, voire simplement piquer un somme.
Rien de tout ça ne fut possible, dans les cahots qui le secouaient dans tous les sens, les virages négociés de justesse menaçant de renverser le chariot, les vibrations...
Après de longues minutes, le Tulki ralentit puis s'arrêta, arrivé à leur destination. Les femmes descendirent du chariot.
Mahal... eut besoin de plus de temps.

Il s'était tétanisé, griffes plantées dans le bois, la fourrure hérissée et les yeux exorbités.
Finalement, il parvint à faire un effort mental et sortit du chariot infernal d'un bond paniqué. Il fit un détour pour rester le plus loin possible du Tulki en train de s'abreuver - la bestiole l'ignorait pourtant, trop occupée à ravaler ses poumons - et rejoindre Déholia et Kujira dans cette bâtisse miteuse.

Mahal resta sur le seuil, incapable physiquement d'entrer à l'intérieur à cause du véritable mur d'odeurs nauséabondes qui l'attaqua avec cruauté.
Par les poils de fesses de Torksan ! C'était immonde !
Cette vieille Sirène devait être complètement cinglée pour supporter de vivre dans des conditions pareilles ! Et sourde aussi... ce qui était en train de faire bouillir Déholia.
Le chat noir s'assit sans oser rentrer, se sentant un brin inutile lorsque la question de l'ingrédient manquant fut posée.
Du Nectarium ? Il ne se souvenait plus trop bien de quoi il s'agissait... quelque chose en rapport avec une fleur rare, cristallisée après un long traitement alchimique... dans le genre...
L'alchimie, c'était loin d'être son domaine de prédilection. Trop salissant.

Soudain, le chat noir leva les yeux et, les oreilles tournées vers le toit, commença à émettre toute une série de vocalises félines, miaulements, ronflements et autres "mrrrpp" trop distingués pour être définis dans la langue bipède, si vulgaire.
Son manège dura peut-être une minute, puis il ramena son attention vers l'intérieur de la maison.

- Hmmm... Essayez de regarder dans le placard là-bas. Le deuxième tiroir à gauche.

Mahal sourit à Kujira qui le regardait d'un air... soupçonneux ?

Tandis que Déholia s'énervait, Mahal était resté sur le seuil de la porte. Il avait levé la tête, ou le museau ? Déholia ne savait pas vraiment quel terme utiliser. L'animal finit par émettre quelques sons félins. La soldate allait faire une remarque sur les périodes de chaleur des chats quand, il conseilla de fouiller un tiroir. Tandis que Kujira le regardait d'un air suspicieux, Déholia arqua un sourcil d'incompréhension mais se conforma au conseil du chat. Et effectivement, en ouvrant le tiroir du placard indiqué, elle trouva une petite fiole, avec une étiquette où était inscrit "Nectarium". Elle retira le bouchon pour humer le parfum. La douce odeur sucrée qui envahit ses narines lui arracha un sourire et rendit presque supportable tout cela.

Elle revint triomphalement vers la vieille et lui donna la fiole. Celle-ci eut le regard pétillant.

- Oh !! Du nectarium, pile ce qu'il fallait pour finir ma potion ! C'que vous tombez bien m'sieur le facteur ! Oh, et quelles épaules !
- OUAIS BON OK FINIS TA POTION LA VIEILLE !!

La vieille dame gloussa.

- Oh mais quel rustre jeune homme !

Non seulement elle était sourde, avait un problème de vue mais visiblement elle avait aussi une très mauvaise mémoire. L'alchimiste retourna à son chaudron et repris la préparation de sa potion. Le trio dût patienter une bonne demi-heure. Après quoi, la sardine défraichie revint vers eux et leur expliqua que grosso-modo, la potion transformerait aléatoirement l'apparence, allant du sexe, à la longueur des ongles.

Et que le tout durait entre une et six heures.

Elle leur tendit une petit flacon, de verre, d'où s'échappait la petite lueur verte. Déholia tendit la main pour le prendre, mais il disparu juste devant ses yeux alors que des doigts pâles se refermaient dessus. Une violente douleur derrière le crâne l'incommoda soudain alors que des bris de verre tombèrent à ses pieds. La soldate s'écrasa sur le sol, un moment décontenancée. Quand elle releva la tête, Kujira avait disparu. Elle fit le lien.

- REVIENS SALE PUTE !

Sans attendre, elle se releva, attrapa une table qu'elle jeta contre une des fenêtre calfeutrée avec une telle violence que le meuble passa au travers du verre. Déholia s'y jeta alors, juste à temps pour voir la fugitive partir à dos de Tulki. La soldate se jeta sur ses talons, mais rien à faire, le Tulki l'avait déjà distancé, alors que la fugitive glissait un sourire à la soldate avant de disparaître dans une ruelle.

- PUTAIN !

La blonde frappa du pied dans une poubelle qui se répandit sur le sol.

- Mahal ! Bouge toi ! Faut qu'on trouve une solution pour retrouver cette salope ! Mamie, merci d'votre aide, j'reviendrais réparer votre fenêtre après ça.
- J'veux pas d'un prêtre mais d'une nouvelle fenêtre, voyou !!!

Déholia chassa les élucubrations de la vieille folle d'un geste de la main, avant de rentrer dans sa cabane, attraper une fiole et la remplir de potion. En ressortant, elle jeta une bourse à la vieille femme. Puis commença à marcher d'un bon pas vers la direction qu'avait prise la fugitive. Son sabre la démangeait.

- On est mal Coussinet. Si, elle est liée à Antimagia, elle nous a sûrement éloignée parce que une merde se prépare. Ou alors, elle va nous faire porter le chapeau.

C'était précisément pour ça qu'elle avait prit la fiole.

- Juste pour clarifier les choses. Je suis pas mage, et disons que je peux... être vindicative face à ceux qui n'arrivent pas à me vaincre avec leur magie. En gros, j'suis parfaite pour porter l'chapeau de la taupe.

Elle glissa la potion dans sa poche. Elle avait encore besoin de son visage et de son autorité parmi les crocs.

Mahal avait hoché la tête d'un air entendu lorsque Déholia avait trouvé le nectarium, puis avait simplement miaulé vers le toit, avant de rester là et d'assister à la préparation de la potion par cette vieille alchimiste.
Il n'avait pas besoin, vraiment, d'expliquer aux bipèdes qu'il avait obtenu l'information d'un chat qui se trouvait actuellement couché sur le toit. Une femelle, au pelage blanc comme neige, qui prenait le soleil de là-haut, répondant au joli nom de Cigüe... et qui lui avait révélé la cachette du Nectarium pour qu'ils puissent tous repartir le plus rapidement possible.
Charmante, vraiment.

Non, il n'avait pas besoin d'expliquer.
Lorsque la potion fut enfin prête, de nombreuses minutes plus tard, Mahal avait l'impression que sa truffe ne se remettrait jamais des effluves méphitiques qui empoisonnaient l'air à l'intérieur de la hutte.
Puis, tout bascula très vite.
Kujira assomma Déholia avec une bouteille vide, s'emparant de la potion au passage, et courut aussitôt vers la sortie. Mahal n'était pas certain de tout à fait comprendre, mais elle ne bougeait pas comme une journaliste, ça c'était clair !

Elle arrivait sur lui sans faire mine de ralentir et, avec le regard qu'elle lui lançait et la bouteille brisée qu'elle tenait toujours, le chat noir ne tenta pas le diable et fit un bond sur le côté pour ne pas rester sur son chemin.
Impuissant, il la vit détacher le Tulki et grimper sur l'animal avant de partir au grand galop vers la ville.
Un cri de rage de Déholia.
*Crash !*
La Croc surgit de la fenêtre que venait de briser une table pour sortir à son tour comme le diable d'une boite.

Mahal avait le poil hérissé.
En colère, il se sentait idiot de ne pas avoir su flairer l'entourloupe.
Kujira les avait bernés en long, en large et en travers. Et elle avait maintenant les moyens de se déguiser pour aller n'importe où, n'importe quand, et d'échapper à toute poursuite.
Déholia semblait s'enrager sur place, évoquant Antimagia.
Par les poils de fesses de Torksan ! C'était vraiment une possibilité ! Au moins autant que celle d'une "simple" criminelle prête à revendre ou utiliser une potion pareille. Mais une simple criminelle aurait-elle pris autant de risques pour monter un stratagème pareil et les ridiculiser, eux qui enquêtaient - plus ou moins ouvertement - sur ce groupe terroriste ?

- Le Tulki est rapide, mais pas discret. Si elle veut se cacher, elle ne le gardera pas longtemps. On peut la retrouver. J'espère que tu peux suivre avec seulement deux pattes, et que tu es prête à gagner une jolie dette auprès des félins de la ville.

Il la suivit, écoutant ses inquiétudes d'une oreille distraite.

- Ne t'en fais pas. Je ne suis qu'un chat, après tout, mais je témoignerai en ta faveur si jamais des imbéciles t'accusent à tort.

Leur duo partit en accélérant progressivement dans les rues à la poursuite de la traitresse.
Rapidement, Mahal se détournait du chemin dès qu'il apercevait le moindre chat errant. Depuis les semaines qu'il passait à organiser son réseau félin de surveillance, les chats de gouttières le connaissaient quasiment tous, même si tous ne faisaient pas activement partie de ses "agents," aussi il n'eut pas besoin de se présenter ou de perdre du temps en amabilités.
A tous ceux qu'il croisait, il parlait de la femme dangereuse pour tout Mystarcia, aux cheveux rouges, qui tentait de leur échapper sur le dos d'un grand Tulki, et qu'ils devaient retrouver de toute urgence.
Les chats qu'il arrivait à convaincre de se bouger les miches partaient alors, et transmettaient à leur tour le signalement à d'autres chats, qui faisaient de même, etc...

Une vague de félins discrets et inquisiteurs se propagea ainsi à la vitesse d'une rumeur dans les rues de Mystarcia, atteignit l'autre bout de la ville avant même que Mahal et Déholia aient traversé le quartier...
Le chat noir espérait que les explications successives d'un chat à l'autre ne déformeraient pas trop le signalement de Kujira et que s'il recevait un retour ce ne serait pas pour une fausse piste...
Soudain, un chat de gouttière miaula depuis un toit : ils avaient trouvé !
Mahal écouta le rapport avec attention, reconnaissant un de ses agents actifs, puis lâcha un juron salé :

- Le sang d'ses morts ! Elle a été vue laisser le Tulki à l'entrée du marché central. Si elle se planque dans ce souk et prend la potion...
Enfin, allons-y. Ce n'est pas si loin, et on verra bien si c'est notre Tulki à l'entrée.

Il aurait aimé pouvoir prévenir l'école de magie, au cas où Kujira préparait effectivement un mauvais coup, mais il ne pouvait pas s'arrêter pour trouver quelqu'un de confiance pour écrire un message ou le transmettre : il n'avait que Déholia et les chats de gouttières sous la patte.
Il regrettait presque de n'être qu'un chat, là, tout de suite !

Accélérant la cadence, il guida/suivit Déholia dans les rues, vers le plus grand marché ouvert de Mystarcia, ses étals à perte de vue, ses badauds et marchands par centaines, par milliers, son effervescence à toutes les heures du jour et de la nuit.
L'endroit idéal, vraiment, pour trouver une fugitive avec une potion de métamorphose à portée de main !